30 décembre 2005

L'offre et la demande

La science économique possède son Saint-Graal : la loi de l’offre et de la demande qui explique (ou tente d’expliquer) la variation des prix en fonction de la variation relative de l’offre et de la demande de produits. Si l’offre augmente, la quantité de produits mis sur le marché augmente et – à demande constante – il y a surproduction entraînant une baisse des prix, tous les produits ne trouvant pas preneur. Au contraire, si la demande augmente à offre constante, il y a pénurie de produits et les prix augmentent. Il faut convenir que cette démonstration relève davantage du bon sens que de la démonstration scientifique. Quoiqu’il en soit, l’analyse peut aller plus loin. En effet, en cas d’une crise de l’offre – c.à d. une offre de produits insuffisante par rapport à la demande potentielle – les produits sont rares et, c’est bien connu, ce qui est rare est cher. Les prix augmentent donc : il y a inflation. On peut ajouter que les plus favorisés gardent un accès au marché des produits malgré son renchérissement, c.à d. que la « fracture sociale » s’aggrave. Si, par contre, on se trouve en présence d’une crise de la demande, il y a alors trop de produits sur le marché, c.à d. que l’on se trouve en état de surproduction. Les prix diminuent (en principe). La surproduction entraîne une surcapacité des ressources de production, donc de main-d’œuvre. L’ajustement des prix s’accompagne ainsi d’une augmentation des licenciements donc du chômage. La « fracture sociale » s’aggrave également dans ce cas ! On débouche ainsi sur la seconde grande loi de la science économique : il faut choisir entre inflation et chômage. J’ajouterai que, dans les deux cas, ce sont les plus faibles qui souffrent le plus.
Ceci permet de comprendre la situation actuelle en Europe. La Banque Centrale Européenne a choisi de maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé ce qui rend l’argent cher, donc ce qui limite le volume des emprunts de consommation qui alimentent la demande. Celle-ci s’affaiblit et, donc, crée une crise de la demande qui limite l’inflation au prix d’un chômage élevé. Inflation faible, chômage élevé, telle est la situation en Europe. La banque Centrale Américaine a fait le choix contraire. Le résultat est une demande croissante grâce à l’endettement important des américains (alors que les européens thésaurisent), au risque d’une reprise de l’inflation.

20 décembre 2005

Le temps qui passe

Un des objets le plus mystérieux de ce monde est le temps. Nous vivons avec lui, comme avec un être familier, sans nous poser de questions sur sa nature. Pourtant, le fait même que nous vivons avec lui devrait nous pousser à nous interroger sur son existence en dehors de nous, je veux dire en dehors de toute conscience humaine. Le temps a-t-il une existence intrinsèque ? L'image que nous en avons, de façon intuitive et donc subjective, est celui d'un écoulement, d'un flux permanent et orienté, comme un fleuve allant vers la mer. Jamais un fleuve ne remonte vers sa source. Nous sommes sur un pont et nous regardons le fleuve s'écouler de manière irréversible. Nous ne le dirons jamais mieux que le poète :

Passent les jours, passent les semaines,
Ni le temps passé, ni les amours reviennent.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine.
Vienne la nuit, sonne l'heure,
Les jours s'en vont, je demeure.
Apollinaire

Bien sûr, la science examine le temps. Plutôt, elle a besoin de lui pour construire les lois de la Nature. Le temps lui est nécessaire pour expliquer le monde. Mais voilà que son explication comporte sa propre contradiction. Toutes les explications de cette physique utilisent un temps qui est réversible. Autrement dit, selon les équations de cette physique du monde, tout pourrait se dérouler à l'envers. C'est d'ailleurs cette expérience de pensée à l'envers qui permet à la physique quantique et à la Cosmologie de remonter à l'origine du monde pour tenter d'en décrire un scénario. Malheureusement, en remontant très loin dans le passé, c'est-à-dire en revenant aux premiers instants de l'Univers il y a un peu plus de treize milliards d'années, dans les premiers milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes de seconde, les lois de la physique ne s'appliquent plus. Il n'y a plus d'espace ni de temps. Il n'y a plus qu'un "océan" d'énergie quantique dont une "région explose" pour donner naissance à un Univers (un seul ?) qui permet le développement d'êtres pensants capables de se poser des questions sur l'origine de l'Univers. Pourquoi le temps apparaît-il "à un moment donné" ? Certains physiciens pensent d’ailleurs que le temps précède l’existence, alors que,pour d’autres, le temps est né avec le big-bang. Pour certains, il n’est qu’un paramètre spatio-temporel réversible, ce qui est en contradiction totale avec l’irréversibilité de la vie. N'est-il pas alors un paramètre commode pour les observateurs que nous sommes, nous permettant de raconter une histoire, celle des évènements du monde ?

C'est bien le seul point qui soit sûr : l'événement existe, puisque nous le vivons. Nous le vivons dans l'instant où il se produit, c'est-à-dire dans l'instant présent. Mais qu'est-ce donc que ce présent, coincé entre un passé qui n'existe plus et un futur qui n'existe pas encore ? Qu'est-ce donc que cet instant figé entre deux néants, entre deux inexistences ? Il a toutes les apparences d'une éternité, sans passé ni futur, elle aussi. Le présent est une éternité, nous ne sommes pas sur le pont mais sur un bateau qui nous emmène ?

Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame,
Las, le temps non, mais nous nous en allons.
Ronsard

Notre époque est en manque de temps. Le temps est devenu une denrée rare. Il ne faut pas perdre de temps, il faut en gagner, comme on gagne de l'argent.
Economie de temps Le temps des cerises
Perdre du temps Prendre son temps
Le temps c'est de l'argent Gagner du temps
Le passe-temps Le contretemps
Donner du temps au temps Dans le temps
De temps en temps, de temps à autre Temps mort
Perdre son temps Les trois temps de la valse
La pluie et le beau temps La couleur du temps
La mi-temps Le tiers temps
Changement de temps Entre-temps
Il est temps Temps réel, temps partagé
Le monde manque de temps, l'urgence est partout, l'urgence est devenue le suprême symbole de l'activité humaine. L'importance se mesure au fait que l'on manque de temps. Moins on a de temps, plus on est important. Dans le même temps (!), on ne parle que de la maîtrise du temps. Illusion et présomptueuse ambition ! La durée est une privation d'éternité (Bergson).

18 décembre 2005

Les grands singes

J’ai entendu hier un scientifique expliquer que les grands singes ont 98% de leur patrimoine génétique identique à celui de l’homme. Cette proximité des espèces en font nos cousins. Le scientifique expliqua alors que la différence entre eux et nous est que nous, les hommes, avons conscience de ce cousinage alors que les grands singes ne l’ont pas. Que sont alors ces « hommes » - nombreux à n’en pas douter – qui ne savent pas que ce cousinage existe ou qui le réfutent ? Tous les hommes ne seraient-ils pas « hommes » ?
Une autre réflexion m’est venue à l’esprit. Compte tenu de cette grande proximité entre les hommes et les grands singes, la classification simpliste qui distingue d’un côté les hommes et de l’autre les animaux est-elle adéquate ? Les grands singes ne forment-ils pas une catégorie intermédiaire ? Les grands singes ont la conscience d’eux-mêmes, la conscience des autres, la conscience du groupe. N’est-ce pas suffisant pour ne pas les considérer comme des animaux ?

16 décembre 2005

Lettre ouverte à la CGT

Il m’arrive de temps à autre d’écrire aux responsables politiques et syndicaux. La plupart du temps, je reçois une réponse. Celle-ci ne me satisfait pas toujours mais, au moins, elle existe.
J’ai fait parvenir la lettre ci-dessous au secrétaire général de la CGT, il y a deux mois. Elle est restée sans réponse. Il ne peut y avoir que deux raisons à ce silence : ou bien ce que j’écris est vrai et Monsieur le Secrétaire ne trouve pas d’argument justificatif, ou bien ce dernier traite par le mépris ce que ressentent les citoyens.

Monsieur le secrétaire général,

La tragédie de la SNCM a trouvé sa conclusion en fragilisant à l’excès une entreprise qui aura beaucoup de mal à retrouver un fonctionnement normal. Le risque de 2500 chômeurs n’est pas écarté.L’attitude « jusqu’au-boutiste » de la CGT et, en particulier de la CGT Marseille, a conduit à cet état de choses. Les arguments développés par votre organisation au gré du conflit ont été de plus en plus spécieux, voire mensongers. Entendre dire que le privé ne peut remplir une obligation de service public est un énorme mensonge, Air France ou France Télécom étant des preuves irréfutables du contraire. Ignorer les lois et le fonctionnement juridique des sociétés est attentatoire au bon sens. Entendre un responsable syndical dire que le déficit chronique de la SNCM s’explique et se justifie par l’existence de la concurrence est un véritable scandale. Diffamer la concurrence (Corsica Ferries en l’occurrence) en prétendant que les conditions sociales et de travail sont déplorables est un mensonge éhonté et c’est prendre les salariés de cette entreprise concurrente pour des imbéciles (ils n’ont jamais fait grève pour demander la corsification des emplois !). Prétendre que les pavillons de Corsica Ferries sont de complaisance est une diffamation dont, je l’espère, vous aurez à rendre compte. Prétendre l’existence de « magouilles » entre l’Etat et les repreneurs est aussi une diffamation. Dire haut et fort que le contribuable a la charge de renflouer en permanence une entreprise qui a été conduite à deux doigts du dépôt de bilan par des grèves à répétition, des exigences syndicales exorbitantes, une productivité du personnel déplorable du fait d’un personnel pléthorique relève de l’irresponsabilité totale. Taire le fait que les restructurations associées aux diverses recapitalisations de l’Etat n’ont pas été réalisées à cause des pressions syndicales est un mensonge par omission. De plus, comme cerise sur le gâteau, la collusion finale avec une entreprise terroriste corse, le recours à des actes de piratage, ont décrédibilisé à jamais la CGT (n’avez-vous donc pas vu Mr. G. Talamoni siéger avec les marins corses ?). Vous êtes responsable de cette organisation (de démolition), vous êtes donc seul responsable de ce gâchis. C’est un mauvais coup porté au port de Marseille, à la ville de Marseille (où les grèves de la CGT sont innombrables), à la région PACA,à la Corse elle-même et au-delà au pays tout entier. L’histoire vous jugera (ainsi que votre représentant marseillais).

15 décembre 2005

La devise républicaine

Liberté – Egalité – Fraternité. La devise de la république est fille de la Révolution Française. Elle est porteuse des idéaux de cette révolution. C’est-à-dire des idéaux datent de 215 ans. Je me sens en droit de me poser la question de savoir s’ils correspondent encore aux exigences de la Nation actuelle. Certes, la Liberté est une valeur de première importance qu’il faut défendre bec et ongles. Mais peut-on prétendre qu’elle est menacée en France aujourd’hui ? Certes non. Par contre, la composition de la population française s’est profondément modifiée. Les derniers évènements ont montré que l’intégration dans la société était devenu un réel problème. La Citoyenneté devient un nouvel idéal.
L’égalité porte en elle le danger de l’égalitarisme. Or, l’égalitarisme c’est la négation des différences qui font la richesse d’une population. Ce n’est pas d’égalité dont la Nation a besoin mais d’équité. Dans ce domaine, bien des progrès sont à faire.
Quant à la Fraternité, ne relève-t-elle pas d’un voeu pieux ? Comment doit-elle se manifester concrètement ? À ce concept non opérationnel, il me semble plus efficace de lui substituer celui de Solidarité.
Ainsi, je propose de remplacer le triptyque Liberté – Egalité – Fraternité par Citoyenneté – Equité – Solidarité.
Qu’en pensez-vous ?

12 décembre 2005

Vive l'artisanat !

Bien sûr, j’ai un ordinateur ! J’ai acheté mon imprimante il y a un an et demi exactement. Ce matin, en changeant les cartouches d’encre, je me suis aperçu que les buses d’alimentation en encre étaient vraisemblablement encrassées. Il m’est, bien entendu, impossible de les nettoyer moi-même compte tenu du fait qu’il faut démonter une partie de l’appareil et qu’il faut avoir un outillage spécialisé. Je décide donc de trouver un réparateur dans Paris. Par Minitel (en tapant EPSON – c’est la marque de mon imprimante – et réparateur), j’obtiens 3 adresses : une dans le deuxième arrondissement (rue Chabanais),, une dans le quinzième (rue des Entrepreneurs) et une dans le neuvième (rue de Trévise). Méfiant, je décide d’aller me renseigner sur place avant d’apporter mon imprimante qui est plus encombrante que lourde. Me voilà parti pour la rue Chabanais. En arrivant au numéro indiqué, je trouve un sombre et vieil immeuble de bureaux avec une gardienne rébarbative, assise derrière une méchante table au pied de l’escalier. Je me renseigne sur l’existence de la société de réparation de matériel EPSON. La gardienne des lieux m’apprend alors que c’est bien là mais qu’il n’y a personne car, me dit-elle, tout le monde est parti en clientèle. Demandant comment m’y prendre, il m’est répondu que je dois laisser mon imprimante à la gardienne justement et que je serai prévenu lorsque la réparation sera faite. Je propose donc d’aller chercher mon imprimante mais, me dit la gardienne, il faut d’abord prévenir les gens de l’entreprise. Comme ils ne sont pas là, je suggère que je pourrais téléphoner. C’est cela, acquiesce la gardienne, mais elle pense que j’aurai beaucoup de mal à les joindre car …ils ne sont jamais là ! Je pense alors qu’il est plus sage de trouver un autre réparateur. Je pars donc pour le 15ème arrondissement. Arrivé devant le numéro indiqué par le Minitel, je trouve un immeuble de logements avec deux magasins en rez-de-chaussée mais aucun réparateur de matériel informatique ! Découragé, je décide d’abandonner les pistes télématiques et d’aller chez SURCOUF (12 ème arrondissement). Après tout, c’est là que j’ai acheté mon imprimante. Me voilà reparti à nouveau. Arrivé chez Surcouf, je demande aux renseignements si les réparations d’imprimantes sont possibles. Que croyez-vous que l’on me répondit ? Les seuls matériels pris en charge pour réparation sont ceux sous garantie. Mon imprimante – que je trouve de plus en plus déprimante - ne l’est plus depuis 6 mois. Mais, me dit-on, il y a un réparateur à deux pas … que je m’empresse de faire. J’arrive 5 minutes après la fermeture du magasin, prévue de 12 h. à 14 h. Il est effectivement 12 h.05.
Pris d’un remords, je retourne chez Surcouf et je me rends au stand EPSON, pensant trouver un spécialiste de ce matériel. Je trouve effectivement quelqu’un à qui j’expose mon problème.
Je demande de mettre en route une des nombreuses imprimantes du stand pour que je puisse expliquer ce qui se passe, mais cela s’avère impossible car il n’y a aucun cordon d’alimentation électrique sur le stand. Entre-temps, le spécialiste me précise que je ferai mieux d’acheter une imprimante neuve car, depuis que la mienne est sortie, il y a eu deux nouveaux modèles qui ne valent « que » 90 Euros. Précisant que mon problème est lié aux cartouches d’encre, le « spécialiste » EPSON me conseille alors d’aller plutôt voir le stand des cartouches, car il n’est pas spécialiste de ce petit matériel. Comment n’y avais-je pas penser moi-même ! Je me rends donc au stand des cartouches où j’expose à nouveau mon problème. Le préposé aux cartouches me répond qu’il est navré mais qu’il ne peut m’aider car il n’est pas spécialiste EPSON ! Un peu écœuré, il faut bien le dire, je rentre chez moi où il me reste trente minutes avant de repartir, cette fois avec l’imprimante sous le bras, pour l’ouverture à 14 h. du réparateur. Après avoir poireauter un petit quart d’heure devant la porte de ce dernier, je peux enfin déposer mon imprimante en demandant de procéder à un nettoyage des buses d’injection d’encre. Le prix annoncé est 50% plus cher qu’une imprimante neuve ! Je me sens déstabilisé un moment et je m’apprête à repartir avec mon imprimante lorsque je me dis que, en changeant de matériel, j’ai 3 chances sur 4 d’avoir de gros problèmes de mise en route comme cela se produit chaque fois qu’on achète un matériel informatique. Je paierai donc 50% de trop, mais je garderai un matériel qui marche. Comme je m’étonne quand même du prix annoncé, on m’explique, qu’en fait de nettoyage, on va remplacer les buses d’injection. Je me dis que j’ai la chance qu’on ne me propose pas de changer l’électronique, la mécanique, les circuits imprimés et je ne sais quoi encore !
Si je raconte toutes ces pérégrinations, c’est qu’elles me suggèrent quelques réflexions. Tout d’abords, en France, tout est archi-compliqué et rien ne se passe normalement. Ensuite, la réparation et l’entretien ne font plus partie de la culture ambiante. On achète et on jette, mais on ne répare pas. Nos parents et nos grands-parents seraient horrifiés d’un tel comportement. La société du gâchis est-elle la fille de la société dite « d’abondance » ? Ou bien la civilisation de la fabrication robotisée a-t-elle détruit les savoir-faire ? Ensuite, il faut bien constater qu’il est moins cher de traiter avec le constructeur du produit – qui est généralement une grande entreprise – qu’avec le réparateur – qui est le plus souvent une PME. Comment celle-ci peut-elle survivre s’il est moins coûteux de s’adresser à la grande entreprise de fabrication ? Cela semble bien improbable ! Et pourtant, n’entend-on pas dire et rabâcher que les emplois potentiels se trouvent dans les PME ? Peut-être. Encore faudrait-il que ces PME traitent les clients et les consommateurs avec un peu de sérieux !

09 décembre 2005

La France va mal

Un raisonnement tenu pratiquement de façon permanente par les syndicats est le suivant : pour créer des emplois, il faut augmenter la demande et donc le pouvoir d’achat des salariés en augmentant les salaires. Le pouvoir d’achat augmentant et entraînant la demande, la production augmentera et les entreprises devront embaucher. De plus, si la production augmente, le PIB augmente d’autant et le pays s’enrichit. Raisonnement simple et dont la simplicité même entraîne l’adhésion populaire. Imaginons alors un épicier de quartier ayant un employé. Pour augmenter le pouvoir d’achat de son employé, il augmente son salaire. À partir de là, de deux choses l’une : ou bien il réduit ses marges et c’est alors son propre pouvoir d’achat qui diminue, ce qui annule l’effet sur la demande de l’augmentation de salaire de son employé. Ou bien il augmente ses prix de vente pour préserver ses marges et il se trouve confronté à la concurrence de l’épicier d’à côté dont les produits sont moins chers que les siens ; il perd une partie de sa clientèle, son chiffre d’affaires diminue, son PIB également, ses marges deviennent négatives, il doit licencier. Cet exemple montre que l’on peut retourner un raisonnement économique et obtenir une conclusion tout aussi crédible. Ceci vient du fait que les raisonnements économiques sont pratiquement toujours cycliques : pour diminuer le chômage, il faut augmenter l’offre d’emploi, donc la production, donc la demande, donc le pouvoir d’achat, donc la production, etc… On peut tout aussi bien dire que pour diminuer le chômage il faut augmenter la production, donc augmenter la demande, donc diminuer les prix de vente, donc les coûts de production, donc il faut limiter les salaires, ce qui diminue les prix, ce qui augmente la demande, etc…La contradiction vient du fait que les deux cycles ne sont pas indépendants.
Le fonctionnement de l’économie se décrit par un grand nombre de cycles qui ne sont pas indépendants les uns des autres. Pour des raisons démagogiques, les hommes politiques et les représentants syndicaux isolent le cycle qui leur convient sur l’instant et ignorent totalement l’interdépendance avec les autres cycles.
Si maintenant on examine la situation de l’ensemble des épiciers, il est clair que le transfert de clientèle entre l’épicier trop cher et l’épicier moins cher équilibre la perte de PIB du premier par l’augmentation du PIB de l’autre, mais qu’au total, le PIB global n’augmente pas. Un pays n’est jamais qu’un grand ensemble d’épiciers. Un transfert de production entre ces épiciers ne peut pas augmenter le PIB national. Pour que celui-ci augmente, il faut que les exportations augmentent, c’est-à-dire que le PIB de la nation augmente au détriment de celui d’un autre pays (la Terre est un système fermé dont la quantité des ressources est fixée une fois pour toutes et qui ne peut augmenter : la quantité d’eau sur Terre est la même depuis plusieurs milliards d’années). Donc, pour que le chômage diminue, la condition nécessaire n’est pas l’augmentation des salaires mais celle des exportations. Il faut donc savoir fabriquer des produits (ou des services) que les autres pays ne savent pas fabriquer (exemples : les Airbus A320 et A380 ou le TGV).
La seconde idée concernant la science économique qui est encore plus perturbante est la suivante : l’idée de base et fondamentale de toutes les théories économiques est ce que les économistes appellent « le comportement rationnel des acteurs ». Qu’entend-on par là ? Le comportement d’un acteur est dit « rationnel » lorsqu’il vise à satisfaire son intérêt particulier. Or la systémique (qui est aussi une science) démontre que la somme des intérêts particuliers des acteurs d’un même système ne conduit pas (sauf exception) à l’intérêt général c’est-à-dire celui du système tout entier. Donc la recherche par chaque acteur de son seul intérêt particulier ne conduit pas à l’intérêt de la société et de la nation. L’économie semble donc fondée sur une magistrale erreur. Ne serait-ce pas là la vraie cause du chômage ? Une économie basée tout entière et uniquement sur le comportement « rationnel » des acteurs s’appelle le libéralisme (qu’il soit « néo » ou « ultra »). C’est une économie dont l’objectif n’est pas l’intérêt général. L’économie de marché est une économie basée sur la concurrence, c’est-à-dire sur la compétition des acteurs et sur l’adage « que le meilleur gagne ». S’opposer à l’économie de marché c’est interdire aux poissons de nager dans l’eau. Par contre, si une économie de marché est laissée totalement libre dans son fonctionnement, elle dérivera vers le plus facile, c’est-à-dire le libéralisme. C’est à ce moment que l’économie se transforme en économie politique. Ou bien le politique fait le choix du laisser-faire (« la main invisible » d’Adam Smith) et c’est l’économie libérale de marché ou bien il met en place des règles d’accompagnement de l’économie de marché de façon que l’intérêt général soit préservé ; c’est l’économie sociale de marché. Encore faut-il que le politique définisse clairement ce qu’il entend par intérêt général. En particulier, il faut faire un choix sur la façon dont le pays entend faire face à la concurrence : ce peut être par les prix (économie libérale mais sans imagination) mais ce peut être aussi par l’innovation, l’imagination, la qualification, etc…Et cela c’est du pur politique. De plus, en face de l’inévitable concurrence des pays en développement, les pays développés ne peuvent lutter efficacement sur les prix des produits fabriqués par ces pays sans remettre gravement en cause les avantages et protection sociaux. Le problème des pays développés n’est donc pas un problème de demande et de pouvoir d’achat, car les consommateurs trouvent à bas prix les produits proposés par les nouveaux entrants, mais un problème d’offre, c’est-à-dire un problème de capacité à imaginer et produire des produits et services que les autres ne savent pas (encore) fabriquer. Il faut donc investir dans la recherche, l’éducation et l’innovation. C’est un plan à moyen et long terme. À supposer que ce plan soit enfin mis en œuvre, s’ouvre donc une longue période de difficultés pour les pays développés et endettés.
Les entreprises ont, comme toujours, une longueur d’avance sur les politiques et sur les syndicats. Elles ont tiré les premières conséquences de la mondialisation de la concurrence en se « recentrant » sur ce qu’elles savent faire le mieux et qui présente la plus grande valeur ajoutée, ce que l’on appelle leur cœur de métier. Toutes les activités périphériques, qui ne sont pas différenciées, sont sous-traitées ou confiées à des travailleurs de statut précaire. Ce mouvement de réorganisation est irréversible. Il appartient aux politiques de le faciliter en faisant en sorte que les lois et le code du travail ne soient pas une entrave à ce mouvement. En effet, il est illusoire de croire, comme le clament les syndicats, que tous les salariés peuvent bénéficier d’un contrat de travail à durée indéterminée et un emploi à vie. Seuls, les salariés attachés aux activités du cœur de métier peuvent, dans une certaine limite, bénéficier d’un contrat à durée indéterminée, car ces activités sont, généralement, les moins touchées par les variations du marché. Il n’en est pas de même pour toutes les autres activités périphériques pour lesquelles le volume de main d’œuvre doit pouvoir varier en fonction de la conjoncture. Pour ces salariés, l’activité est nécessairement flexible et les politiques doivent imaginer un droit du travail qui préserve les droits fondamentaux des salariés en tenant compte de la flexibilité. Il est certain que cela va à l’encontre du discours syndical. La formation tout au long de la vie professionnelle devient un facteur clé de succès, sujet sur lequel les mêmes syndicats sont étrangement silencieux.
Enfin, pour s’enrichir, un pays doit travailler. C’est une évidence et c’est ce que nous rappelle l’histoire industrielle de notre pays et ce que nous démontre aujourd’hui les pays en voie de développement. Mais nous semblons avoir perdu la mémoire et la vue ! Les difficultés du pays ont de multiples causes et leur analyse alimente les journaux et les polémiques à longueur de temps. Mais la principale reste le fait que les Français ont perdu (on leur a fait perdre) le goût du travail et du risque : leur rêve est de travailler vingt heures par semaine comme fonctionnaire pour avoir la garantie de l’emploi, d’obtenir un avancement à l’ancienneté (surtout pas au mérite) ainsi qu’une augmentation de salaire automatique, d’avoir huit semaines au moins de congés payés et de partir en retraite à l’âge de quarante-cinq ans avec une prime de pénibilité généralisée avec 95,5% du salaire de fin de carrière. Et ceci pour tous, bien entendu … pour éviter toute compétition ! Lorsqu’on fait remarquer que les Français sont les occidentaux qui travaillent le moins, la réponse bateau (et fausse) que l’on entend est que les Français ont la productivité la plus élevée. Premièrement, ce n’est pas vrai et, deuxièmement, on ne peut justifier en même temps la réduction du temps de travail par l’augmentation de la productivité et se plaindre des conditions de travail !
La devise républicaine (liberté – égalité – fraternité) est comprise, pour ce qui concerne son article deux, comme imposant, non pas l’égalité, mais l’égalitarisme ; alors que la seule égalité qui vaille est l’égalité des chances. Pour tout le reste, il s’agit d’équité. Ce rêve est alimenté par le discours et l’attitude des syndicats français qui sont les plus sclérosés, sectaires et réactionnaires du monde occidental. Leur capacité de blocage du fonctionnement du pays leur permet de refuser tout changement dans un monde où tout se modifie et s’accélère. Tout changement se heurte systématiquement à un refus, que se soit pour réformer la Sécurité sociale, le code du travail, l’âge de la retraite, l’Education Nationale, le fonctionnement de l’Assistance Publique et des hôpitaux, etc …Qui dira un jour la responsabilité des syndicats dans le retard français dans presque tous les domaines ? Qui, finalement, est responsable du manque de compétitivité du pays ? Le manque de courage des gouvernements n’est pas seul en cause (en fin de compte, il n’y aurait jamais eu de T.Blair sans M. Thatcher !). L’aveuglement sectaire des syndicats, associé à leur formidable pouvoir de nuisance (alors que leur représentativité est fortement contestable), a une lourde part de responsabilité dans le déclin du pays.

06 décembre 2005

Pourquoi Parallaxe

La parallaxe est le décalage de point de vue qui s’installe lorsque l’on regarde quelque chose de deux points de vue différents. Ce décalage permet souvent de mieux comprendre. Lorsqu’on regarde un cube de face, on ne voit qu’un carré. Si l’on se contente de ce seul point de vue, le risque d’une erreur d’appréciation est grand. Mais si l’on décale un peu le point de vue, on peut alors apercevoir autre chose que l’on peut, avec plus de raison, identifier à un cube. Regarder, écouter, et chercher un point (ou plusieurs) de vue différent peut parfois faire mieux comprendre le monde et le jeu des hommes. Voilà pourquoi j’ai choisi ce nom de « parallaxe »

Le dernier mot à la mode

"Tout ce qui peut être l’objet du désir humain peut (doit) devenir un produit marchand ". Telle est la devise du libéralisme du début du troisième millénaire. Le bras armé de ce libéralisme est l’entreprise transnationale (ETN) qui recherche en permanence "l’allocation optimale de ses ressources". Au nom de cette recherche, elle déplace ses capitaux d'un marché boursier à un autre en accumulant les profits de ces opérations dans les banques des paradis fiscaux, elle déplace ses ressources de production dans les pays où les lois sociales et fiscales sont les plus avantageuses, c'est-à-dire les moins contraignantes, elle déplace ses ressources humaines en leur proposant des délocalisations inacceptables ou en les jetant à la rue lorsqu'elle ne sait plus qu'en faire au nom de "l'amélioration la productivité". Le discours marketing qu'utilisent ces entreprises cherche à fabriquer une image virtuelle qui leur permette de se cacher aux yeux des citoyens et de s'attirer l'approbation béate du consommateur berné. Ce discours s'articule sur deux idées majeures : le consommateur est roi, le produit est éthique. La royauté du consommateur s'affirme à travers la satisfaction, au moindre coût, de ses moindres désirs, même ceux qu'il ne manifeste pas ! Tel est le discours. Dans la réalité, le consommateur n'a que le droit d'acquérir les produits uniformisés des entreprises transnationales et monopolistiques (ou presque). La diversité des appellations cache mal l’uniformité des produits. Mais asservir le consommateur dans son acte d'achat n'est pas suffisant. Il faut aussi qu'il ne se pose pas trop de questions sur les conditions de fabrication du produit permettant d'abaisser les coûts. Les médias ont trop parlé des enfants esclaves, du travail forcé, pour qu'il ne devienne pas urgent d'endormir les scrupules naissants du consommateur. C'est pourquoi les entreprises ont inventé "le produit éthique". C'est le dernier concept à la mode. Un produit éthique est un produit dont on affirme, sans le prouver, qu'il a été fabriqué en respectant un minimum des droits de l'homme. L'entreprise a d'abord investi la décision et la réflexion du consommateur. Puis elle a annulé pratiquement ses possibilités de choix. Elle s'approprie aujourd'hui sa conscience pour la manipuler. L'éthique est le dernier assaisonnement à la mode des nouilles et le dernier nettoyant des baskets. Dans une société qui n'en a plus, la morale se réfugie dans les condiments. Au-delà de la stupéfaction indignée qu'entraîne l'usage de ce mot dans un tel contexte, il faut s'attarder un instant sur les raisons d'un tel usage abusif. Le monde est coupé en deux, les riches et les pauvres, l'occident et le reste du monde, les esprits satisfaits à l'abri de leur richesse et les inquiets, Davos et Porto Alegre, ces différents découpages se recouvrant parfaitement. Mais les inquiets, les pauvres, les exploités s'énervent, s'organisent et se font entendre. Il faut bien trouver un moyen de les calmer, si possible sans frais. C'est ainsi qu'a germé dans l'esprit d'un manager ou d'un consultant transnational (CTN), l'idée d'associer les mots produit et éthique. Le message marketing que l'on veut faire passer est celui d'une entreprise soucieuse de moralité, sinon de morale, qui rejette toute pratique contraire aux droits de l'homme dans ses processus de fabrication. On tente de faire croire que l'entreprise transnationale est devenue le porte-parole de pratiques morales, excluant l'exploitation des enfants, les conditions de travail déshonorantes, le travail forcé, la dégradation de l'environnement (la publicité actuelle de MacDonald sur son « combat » contre l’obésité est une véritable provocation). Non seulement les pauvres sont pauvres, mais ils sont censés être idiotement crédules. Le marketing, chevau-léger du commerce international, fait preuve d'une imagination sans borne pour essayer de donner du contenu à l'expression d'entreprise citoyenne ! Après tout, les entreprises transnationales ont bien remplacé les mots "impérialisme" et "néo-colonialisme" par l'expression "développement des pays pauvres". On n'est plus à un kidnapping linguistique près.