La parallaxe est une différence de vision qui se crée lorsque l’on regarde depuis deux points de vue différents. Un point de vue unique fait courir le risque d’une appréciation partielle relevant du politiquement correct. En portant un regard différent, on peut alors percevoir des aspects cachés du monde. Regarder, écouter, et chercher un point de vue décalé peut parfois faire mieux comprendre le monde et le jeu des hommes.
30 mars 2013
La seule urgence qui vaille
Les exégèses des contempteurs de l’intervention du Président de la République du 28 Mars dernier sont suffisamment nombreuses pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en rajouter une. La seule remarque que l’on peut ajouter est qu’il nous a été servi un discours de Premier Ministre, beaucoup plus que celui d’un Président. D’ailleurs, rien n’a été dit que l’on ne savait déjà. Le sujet majeur n’a pas été abordé, celui de la ré-industrialisation du pays. Il faudra bien comprendre un jour que l’emploi ne peut exister sans entreprise. La montée du chômage n’est que la conséquence de la faillite d’entreprises de plus en plus nombreuses. Elles sont environ 60.000 par an à disparaître et la courbe des faillites augment régulièrement de 1,5% sur un an. Si la ré-industrialisation est un impératif et une urgence, il ne faut pas se tromper. Relancer la demande intérieure pour augmenter l’offre est loin d’être suffisant car cette relance ne résout en rien le problème du déficit chronique de la balance commerciale. Or, tant que cette dernière reste négative, le pays accroit inexorablement sa dette. La ré-industrialisation nécessite des investissements massifs en R & D, en formation et enseignement. Il n’est pas possible de financer de tels investissements par l’impôt qui deviendrait absolument insupportable, étant donné le niveau déjà atteint aujourd’hui. Il ne reste que la voie de l’emprunt national. Or, cette solution est totalement oubliée. C’est pourtant une solution qui permettrait de créer un véritable « choc » de compétitivité, au lieu de se contenter de rendre d’une main une partie de ce que l’on a pris de l’autre. Mais s’il apparaît que cette voie est nécessaire, elle n’est pas suffisante et doit être accompagnée par d’autres mesures. En même temps que les entreprises renouvellent leur offre pour acquérir des parts de marché, améliorer la compétitivité du pays et équilibrer la balance commerciale, il faut prendre des mesures pour protéger le marché européen des exportations venant de pays où l’inexistence de protection sociale va jusqu’à ce qu’il faut bien nommer de l’esclavage moderne et qui fabriquent dans des conditions environnementales désastreuses. Il faut, parallèlement, mener enfin des actions d’éradication des paradis fiscaux, qu’ils soient situés hors ou à l’intérieur de l’Europe (les cas les plus criants sont le Luxembourg et la City de Londres). Le cas de Chypre est exemplaire. Jamais un tel pays n’aurait dû faire partie de l’Europe, encore moins de la zone Euro. Ces pays détournent à leur profit des sommes considérables en les soustrayant à la fiscalité nationale et privant ainsi les pays de sommes considérables qui permettraient de prendre des mesures de relance de l’activité industrielle. Dans le même esprit, il faut absolument aboutir dans la régulation de l’activité bancaire afin que celle-ci retrouve ce qui est son rôle essentiel, et que les banques ont presque totalement oublié, à savoir le prêt aux entreprises et l’empêcher de détourner une masse considérable de ressources financières vers la seule spéculation. Ces actions sont indispensables et urgentes car, pour être pleinement efficaces, il faudra du temps. Mais seul l’emprunt est du seul ressort national. Toutes les autres mesures n’ont de signification que si elles sont prises au niveau de l’Europe. Compte-tenu du manque de vision de projet européen des dirigeants politiques actuels et de l’incompétence de la Commission Européenne, il est à craindre que ces mesures, pourtant indispensables, restent lettre morte. Il est donc urgent et nécessaire de convaincre les peuples, de lutter contre l’ambiance mortifère anti-européenne qui gangrène les sociétés occidentales et d’arrêter ce discours essentiellement français qui prolifère et qui consiste à désigner l’entrepreneur comme le démon et la cause de tous les maux. Enfin, tant qu’à parler de « choc » de simplification, que le gouvernement ait le courage de supprimer les départements et les conseils généraux, échelons du « mille feuilles » totalement inutile. Ce choc serait créateur de véritables diminutions de dépenses publiques. Mais, pour toutes ces mesures, il faudrait abandonner les attitudes dogmatiques ancrées sur des symboles d’un autre temps et avoir le courage politique de les engager. Hélas … !
23 mars 2013
Mourir dignement
En refusant l’interdit et en choisissant la connaissance, l’homme a abandonné la vie éternelle pour un destin en faisant un pied-de-nez au divin. Son destin est une vie bornée par la mort, induisant l’impérieuse nécessité de lui donner une justification. Ainsi, l’homme digne de ce nom, pendant toute son existence, cherchera le sens de sa vie. Lorsque l’échéance se rapproche, s’imposent alors à tous ces vers de P. Verlaine : « Qu’as-tu fait, ô toi que voilà, pleurant sans cesse, / Dis qu’as-tu fais, toi que voilà, de ta jeunesse ? ». Cette question devient de plus en plus prégnante à mesure que le temps passe. Ce n’est pas pour autant que l’homme a nécessairement peur de sa mort. Certes, en cas de survenue soudaine et potentielle d’un accident, la panique qui nous prend instantanément nait de la peur de souffrir et de mourir. Or, en vieillissant et en approchant du terme, il faut bien constater que cette panique n’existe généralement pas. Pourquoi cette différence ? Tout se passe comme si l’homme possédait deux cerveaux : l’un fonctionnant comme lorsque l’on avait trente ans (du moins, c’est l’impression que l’on a) et l’autre souffrant de constater les effets du vieillissement sur le corps (perte de capacités, mémoire défaillante, sexualité en berne ou assistée). Peut-on dire alors que la peur de vieillir est plus grande que celle de mourir ? Qui ne se pose, en effet, la question de savoir où mène la déchéance du corps ? Qui ne surveille, dans le regard des autres, les signes de plus en plus apparents du vieillissement ? Qui n’est pas désagréablement surpris lorsque, pour la première fois, les gens se lèvent pour vous laisser la place ? Plus grave encore, qui n’a peur de se retrouver dans un état de dépendance totale ou dans un monde devenu étranger, étriqué, incompréhensible et dont l’horizon se rétrécit chaque jour ? Le spectacle de personnes chères plongées dans cet état de sénilité profonde fait naître l’incontournable question de la maîtrise de sa fin de vie. Deux questions se posent. La première : comment éviter de se retrouver dans une telle situation avant qu’il ne soit trop tard, c’est-à-dire avant que les défaillances cérébrales nous plongent dans l’inconscience ? Comment sauvegarder (sauver) sa dignité ? Il arrive que ce naufrage intervienne sans que la volonté de l’éviter n’ait eu le temps de s’exprimer. La souffrance, alors, change de camp. Elle devient le fardeau de tous ceux qui sont liés par l’affection ou l’amour à celui ou celle qui n’en finit pas de mourir. La sénescence de plus en plus profonde devient insupportable à tous ceux-là qui luttent pour sauvegarder l’image de l’être cher. Surgit alors la seconde question : comment arrêter l’évolution fatale, ressentie comme une agression insupportable à l’affection portée à la personne agonisante ? Quelles voies s’ouvrent à l’entourage pour mettre fin à ce qui n’est plus une vie, mais un lent pourrissement du corps et de l’esprit ? Aujourd’hui, l’arsenal législatif reste limité. La Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et le Luxembourg bénéficient d’une loi encadrant le suicide assisté permettant à chacun de rester maître de sa fin de vie. En France, rien de tel. Il existe la loi de 1999 sur l’accès aux soins palliatifs anti-douleur. A l’évidence, cette loi est insuffisante car elle ne permet pas d’échapper à la déchéance et ne répond à aucune des deux questions précédentes. En 2002, le Parlement a voté la loi dite loi Kouchner qui tente d’interdire l’acharnement thérapeutique en spécifiant qu’« aucun acte médical ou traitement ne peut être pratiqué sans le consentement de la personne ». Mais cette loi suppose que la personne en question soit encore capable d’exprimer son choix, ce qui reste aléatoire ou susceptible de n’être pas entendu par l’environnement médical. Le 22 Avril 2005 a été voté la loi dite Leonetti qui stipule l’interdiction de toute obstination déraisonnable et qui légalise le droit du mourant au refus de soin, tout en imposant au médecin le devoir de sauvegarde de l’intégrité corporelle. De plus, cette loi donne la possibilité de formaliser des directives portant sur « l’obstination déraisonnable » qui doivent avoir moins de trois ans d’ancienneté. Ces directives peuvent être remises à une tierce personne en prévision d’un état inconscient. Cependant, ces directives sont encadrées et des formulations telles que « l’interdiction de réanimer » ne sont pas autorisées. Ainsi, le médecin se retrouve en face d’un dilemme entre le choix de la poursuite des soins de réanimation et une obstination « déraisonnable ». Ce flou laisse, entre autre, le champ ouvert à la judiciarisation de l’acte médical. Le 24 novembre 2009, pour la première fois, un débat public s’est tenu à l’Assemblée Nationale autour d’une proposition de loi relative au droit de finir la vie dans la dignité. Le mardi 25 janvier 2011, au Sénat, une nouvelle discussion parlementaire s’est tenue autour des propositions de loi de Guy Fischer (PC – Rhône), d’Alain Fouché (UMP – Vienne) et de Jean-Pierre Godefroy (PS – Manche) en vue de la mise en œuvre de la proposition n°21 du candidat François Hollande (modifier la loi Leonetti sur la fin de vie et accorder une aide médicalisée à mourir). A ce jour, rien n’est fait dans ce domaine. En France, sont recensées tous les ans quatre cents demandes d’euthanasie active ou de suicide assisté. Malgré ces avancées, pour tout un chacun se pose toujours la question de diriger sa fin de vie selon sa propre volonté. En pleine conscience, chacun peut écrire formellement ses directives pour éviter tout acharnement thérapeutique mais reste cependant sous le risque d’un médecin qui refuse de les appliquer au nom de sa conscience. Reste à clarifier la procédure en cas de malade inconscient, pour les proches. Il semble que l’Ordre des Médecins réfléchissent à la possibilité qu’un malade, encore en état de conscience, rédige une demande de sédation sans réveil dans un certains nombre de cas (parole devenue impossible, assistance respiratoire, confusion mentale, …) en précisant le lieu de cette sédation (hôpital ou domicile). Cette demande de sédation pourrait être établie par un proche parent, en cas d’inconscience du malade. Il est urgent que les Français aient à leur disposition une loi portant sur la liberté ultime de mourir dignement. C’est la juste contrepartie du choix originel.
12 mars 2013
Rions-en de peur d’en pleurer
Décidément, le monde politique restera surprenant. Nous avons l’habitude de critiquer, voire de se moquer, des arguties politiciennes françaises. C’est une question d’hygiène et un signe de bonne santé ! Mais nous aurions tord de croire qu’il s’agit d’une particularité française. Les autres gouvernants nous donnent souvent des exemples identiques. Les anglais viennent de nous fournir, sans sourciller et sans complexe, l’exemple d’un ridicule absolu. Les Iles Malouines ont été colonisées par les Britanniques depuis 1833 et comptent un peu plus de 3000 habitants. Ceux-ci, britanniques dans leur presque totalité, ont été consultés par référendum pour savoir s’ils voulaient rester britanniques !! Ainsi, on a demandé aux anglais s’ils voulaient rester anglais !! Surprise, il y a eu plus de 99% de oui !! Rions-en avant d’en pleurer.
Rions-en de peur d’en pleurer.
06 mars 2013
Vous avez dit « rationnel » ?
Les lois de l’économie politique sont construites à partir d’hypothèses sur le comportement des acteurs du champ économique. Une hypothèse fondamentale et originelle est le comportement dit « rationnel » de ces acteurs, c’est-à-dire un comportement visant à maximiser l’intérêt particulier de chacun ou encore maximiser la satisfaction obtenue de la consommation d’un bien ou d’un service, dans un monde de concurrence parfaite et d’information totale sur l’état du marché. Bien entendu, très vite, les économistes se sont aperçus (pas tous) que cette hypothèse était sans fondement, le monde réel étant très éloigné de ces hypothèses simplificatrices et du fait que la somme d’intérêts particuliers ne fait pas l’intérêt général (ce que n’ont pas compris les syndicats français et tous les corporatismes). L’information étant asymétrique entre les acteurs, ceux-ci cherchent à pallier leur manque d’information par des hypothèses sur les raisons qui ont poussé les autres acteurs à prendre les décisions qu’ils ont prises. C’est ce que l’on appelle les anticipations. Celles-ci ont d’abord été prises en compte dans les théories économiques en supposant que les acteurs ne faisaient qu’extrapoler les tendances passées, seule source d’informations relativement disponibles. L’observation de l’inflation passée, par exemple, permet à l’acteur économique de construire une anticipation de l’inflation à venir et de modifier son comportement en fonction de son analyse. Une inflation élevée incitera certains acteurs à rechercher des emprunts à taux fixes. Cette anticipation aura, bien entendu, une influence sur les résultats de la politique économique mise en œuvre. Ces anticipations sont dites « rationnelles ». Elles obligent les gouvernements à intégrer ces comportements dans leurs décisions. Ce qui rend très aléatoires les résultats recherchés par les gouvernements, puisque les décisions prises en tenant compte de ces anticipations, une fois connues des autres acteurs, auront une influence sur les anticipations elles-mêmes. De plus, ce modèle de fonctionnement sous-entend toujours que les acteurs possèdent toutes les informations nécessaires pour construire leurs anticipations, ce qui n’est évidemment jamais vrai. De nombreux prix Nobel en économie ont été décernés à des économistes qui ont simplement dit que le modèle classique de l’économie était une tromperie : des acteurs agissant au sein d’un marché parfait en concurrence non déformée, entièrement informés sur l’état des marchés et sur le comportement de tous ses acteurs, agissant et anticipant de façon rationnelle en fonction de l’état immédiat du marché, tout cela était une parfaite utopie. Ils ont alors essayaient, sans beaucoup de succès et avec de nombreuses simplifications, de tenir compte du fait que les acteurs sont parfaitement humains, c’est-à-dire égoïstes, fascinés par l’argent, prêts à toutes les magouilles pour en gagner davantage, passant entre eux des accords frauduleux, perpétrant sans cesse le délit d’initié, réagissant par anticipation à ce qu’ils considèrent comme un mensonge des autres acteurs, etc, etc … Il n’est finalement pas très difficile d’obtenir un prix Nobel d’économie !! La frénésie de l’argent est peut-être un caractère humain mais n’est pas un comportement rationnel. Le comportement d’un trader est compulsif. La passion du gain fait qu’il remplace l’anticipation par le pari, ce qui est très mal pris en compte par les théories économiques. La recherche effrénée du gain immédiat crée, sur le marché sur lequel intervient le spéculateur, un impact immédiat, parfois considérable et de très court terme. Aucun modèle économétrique ne peut prendre en compte de tels comportements compulsifs et dont les conséquences sont chaotiques. C’est pourquoi, la déroute bancaire et financière de 2008 n’a été anticipée par aucun économiste ni par les fameuses agences de notation. Pas plus que les conséquences de la faillite de la banque Lehman Brothers. La logique la plus élémentaire, c’est-à-dire le bon sens, est de croire que le développement économique passe par le développement des entreprises, créatrices d’emplois, par l’innovation et la conquête de marchés. Or, le système bancaire est le « système sanguin » de l’économie réelle en « irriguant » celle-ci avec les prêts qu’il consent aux entreprises. Aussi, lorsque ce système se dévoie de son rôle, par l’intermédiaire d’une population de traders et avec la complicité des dirigeants, en détournant les ressources financières d’un pays vers la spéculation effrénée, on ne peut pas dire qu’il s’agisse là d’un comportement rationnel du point de vue de l’intérêt général. Tous comptes faits, ni le comportement ni les anticipations des acteurs ne sont rationnels. Qui peut douter que même les salariés de l’Etat aient une vision biaisée de l’intérêt général et qui peut croire qu’ils soient prêts à sacrifier peu ou prou leur intérêts particuliers ? On comprend mieux les grandes difficultés de la science économique à construire des modèles crédibles de simulation qui puissent fournir des prévisions fiables et des conseils crédibles. De plus, il existe un acteur majeur intervenant sur l’économie, le gouvernement lui-même. C’est pourquoi s’ajoute un autre biais. Celui des mensonges du monde politique, particulièrement en campagne électorale. Les promesses faites, toujours présentées comme des engagements irrévocables, sont rarement tenues car elles contiennent toutes une part de pure démagogie, nécessaire pour attirer les voix et les suffrages de tous ceux qui ne demandent qu’à y croire et ignorent volontairement les contraintes existantes. Mais la réalité prend vite le dessus et les citoyens sont de plus en plus réticents à prendre pour argent comptant le discours des hommes politiques. Comment tenir compte alors du fait que les agents doutent que le gouvernement se comportera effectivement comme il l’annonce ? L’inefficacité d’une politique économique peut découler du fait que ces agents soupçonnent de plus en plus le gouvernement de vouloir les tromper. Peut-on, dans ces conditions, construire des théories économiques crédibles ? On peut en douter. La méfiance généralisée des peuples envers leurs gouvernements s’illustre dans un récent sondage français qui, parmi les femmes politiques françaises populaires, place en tête C. Lagarde et M. Le Pen. Une femme qui exerce ses talents à l’étranger (c’est toujours mieux ailleurs !) et la championne du populisme (on ronronne toujours quand on vous caresse dans le sens du poil !). Dans la médiocrité ambiante actuelle, il est décidément clair que nous manquons cruellement en politique d’un De Gaulle du XXIe siècle et en économie politique d’un J.M.Keynes contemporain !
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