La parallaxe est une différence de vision qui se crée lorsque l’on regarde depuis deux points de vue différents. Un point de vue unique fait courir le risque d’une appréciation partielle relevant du politiquement correct. En portant un regard différent, on peut alors percevoir des aspects cachés du monde. Regarder, écouter, et chercher un point de vue décalé peut parfois faire mieux comprendre le monde et le jeu des hommes.
23 mars 2013
Mourir dignement
En refusant l’interdit et en choisissant la connaissance, l’homme a abandonné la vie éternelle pour un destin en faisant un pied-de-nez au divin. Son destin est une vie bornée par la mort, induisant l’impérieuse nécessité de lui donner une justification. Ainsi, l’homme digne de ce nom, pendant toute son existence, cherchera le sens de sa vie. Lorsque l’échéance se rapproche, s’imposent alors à tous ces vers de P. Verlaine : « Qu’as-tu fait, ô toi que voilà, pleurant sans cesse, / Dis qu’as-tu fais, toi que voilà, de ta jeunesse ? ». Cette question devient de plus en plus prégnante à mesure que le temps passe. Ce n’est pas pour autant que l’homme a nécessairement peur de sa mort. Certes, en cas de survenue soudaine et potentielle d’un accident, la panique qui nous prend instantanément nait de la peur de souffrir et de mourir. Or, en vieillissant et en approchant du terme, il faut bien constater que cette panique n’existe généralement pas. Pourquoi cette différence ? Tout se passe comme si l’homme possédait deux cerveaux : l’un fonctionnant comme lorsque l’on avait trente ans (du moins, c’est l’impression que l’on a) et l’autre souffrant de constater les effets du vieillissement sur le corps (perte de capacités, mémoire défaillante, sexualité en berne ou assistée). Peut-on dire alors que la peur de vieillir est plus grande que celle de mourir ? Qui ne se pose, en effet, la question de savoir où mène la déchéance du corps ? Qui ne surveille, dans le regard des autres, les signes de plus en plus apparents du vieillissement ? Qui n’est pas désagréablement surpris lorsque, pour la première fois, les gens se lèvent pour vous laisser la place ? Plus grave encore, qui n’a peur de se retrouver dans un état de dépendance totale ou dans un monde devenu étranger, étriqué, incompréhensible et dont l’horizon se rétrécit chaque jour ? Le spectacle de personnes chères plongées dans cet état de sénilité profonde fait naître l’incontournable question de la maîtrise de sa fin de vie. Deux questions se posent. La première : comment éviter de se retrouver dans une telle situation avant qu’il ne soit trop tard, c’est-à-dire avant que les défaillances cérébrales nous plongent dans l’inconscience ? Comment sauvegarder (sauver) sa dignité ? Il arrive que ce naufrage intervienne sans que la volonté de l’éviter n’ait eu le temps de s’exprimer. La souffrance, alors, change de camp. Elle devient le fardeau de tous ceux qui sont liés par l’affection ou l’amour à celui ou celle qui n’en finit pas de mourir. La sénescence de plus en plus profonde devient insupportable à tous ceux-là qui luttent pour sauvegarder l’image de l’être cher. Surgit alors la seconde question : comment arrêter l’évolution fatale, ressentie comme une agression insupportable à l’affection portée à la personne agonisante ? Quelles voies s’ouvrent à l’entourage pour mettre fin à ce qui n’est plus une vie, mais un lent pourrissement du corps et de l’esprit ? Aujourd’hui, l’arsenal législatif reste limité. La Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et le Luxembourg bénéficient d’une loi encadrant le suicide assisté permettant à chacun de rester maître de sa fin de vie. En France, rien de tel. Il existe la loi de 1999 sur l’accès aux soins palliatifs anti-douleur. A l’évidence, cette loi est insuffisante car elle ne permet pas d’échapper à la déchéance et ne répond à aucune des deux questions précédentes. En 2002, le Parlement a voté la loi dite loi Kouchner qui tente d’interdire l’acharnement thérapeutique en spécifiant qu’« aucun acte médical ou traitement ne peut être pratiqué sans le consentement de la personne ». Mais cette loi suppose que la personne en question soit encore capable d’exprimer son choix, ce qui reste aléatoire ou susceptible de n’être pas entendu par l’environnement médical. Le 22 Avril 2005 a été voté la loi dite Leonetti qui stipule l’interdiction de toute obstination déraisonnable et qui légalise le droit du mourant au refus de soin, tout en imposant au médecin le devoir de sauvegarde de l’intégrité corporelle. De plus, cette loi donne la possibilité de formaliser des directives portant sur « l’obstination déraisonnable » qui doivent avoir moins de trois ans d’ancienneté. Ces directives peuvent être remises à une tierce personne en prévision d’un état inconscient. Cependant, ces directives sont encadrées et des formulations telles que « l’interdiction de réanimer » ne sont pas autorisées. Ainsi, le médecin se retrouve en face d’un dilemme entre le choix de la poursuite des soins de réanimation et une obstination « déraisonnable ». Ce flou laisse, entre autre, le champ ouvert à la judiciarisation de l’acte médical. Le 24 novembre 2009, pour la première fois, un débat public s’est tenu à l’Assemblée Nationale autour d’une proposition de loi relative au droit de finir la vie dans la dignité. Le mardi 25 janvier 2011, au Sénat, une nouvelle discussion parlementaire s’est tenue autour des propositions de loi de Guy Fischer (PC – Rhône), d’Alain Fouché (UMP – Vienne) et de Jean-Pierre Godefroy (PS – Manche) en vue de la mise en œuvre de la proposition n°21 du candidat François Hollande (modifier la loi Leonetti sur la fin de vie et accorder une aide médicalisée à mourir). A ce jour, rien n’est fait dans ce domaine. En France, sont recensées tous les ans quatre cents demandes d’euthanasie active ou de suicide assisté. Malgré ces avancées, pour tout un chacun se pose toujours la question de diriger sa fin de vie selon sa propre volonté. En pleine conscience, chacun peut écrire formellement ses directives pour éviter tout acharnement thérapeutique mais reste cependant sous le risque d’un médecin qui refuse de les appliquer au nom de sa conscience. Reste à clarifier la procédure en cas de malade inconscient, pour les proches. Il semble que l’Ordre des Médecins réfléchissent à la possibilité qu’un malade, encore en état de conscience, rédige une demande de sédation sans réveil dans un certains nombre de cas (parole devenue impossible, assistance respiratoire, confusion mentale, …) en précisant le lieu de cette sédation (hôpital ou domicile). Cette demande de sédation pourrait être établie par un proche parent, en cas d’inconscience du malade. Il est urgent que les Français aient à leur disposition une loi portant sur la liberté ultime de mourir dignement. C’est la juste contrepartie du choix originel.
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2 commentaires:
Et si on se demandait sur les raisons qui font qu'on vieillisse longtemps..pourquoi on s'acharne à soigner et soigner, faire entrave au courant de la nature..et si on se laissait vivre sans chercher cet absurde retardement de mourrir pour se voir complètement démuni et gacher tout le plaisir que les enfants peuvent garder de s'être occupés des parents..car c'est bien que les proches s'occupent pour un temps mais c'est carrement punitif quand cela dure longtemps..c'est le système de soins qu'il faut revoir peut être..
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