La parallaxe est une différence de vision qui se crée lorsque l’on regarde depuis deux points de vue différents. Un point de vue unique fait courir le risque d’une appréciation partielle relevant du politiquement correct. En portant un regard différent, on peut alors percevoir des aspects cachés du monde. Regarder, écouter, et chercher un point de vue décalé peut parfois faire mieux comprendre le monde et le jeu des hommes.
22 mai 2013
De Lucrèce à la théorie des cordes
Comme une boucle qui se referme, la physique contemporaine a formulé une conjecture concernant l’existence des éléments ultimes de la matière, appelés cordes, dont les dimensions seraient de l’ordre de la longueur de Planck, c’est-à-dire à jamais invisibles (il faudrait une énergie hors de portée pour pouvoir espérer les « voir »). Or, cette hypothèse d’éléments invisibles constitutifs ultimes de la matière a vu le jour entre 460 et 370 avant notre ère, à la suite d’une intuition de Leucippe, fondateur de l’atomisme et du matérialisme, inventeur semble-t-il du mot « atome ». Il s’est opposé à la théorie existant à l’époque, celle d’Empédocle (490 à 430 avant notre ère), qui stipulait que toute chose est faite de quatre éléments fondamentaux : la terre, le feu, l’air et l’eau. La conjecture de Leucippe donnait naissance à une vision du monde qui devait, avec de longues périodes d’oubli, perdurer jusqu’à nos jours. Avec Leucippe, Démocrite, philosophe grec (de 460 à 370 avant notre ère) fut un grand propagateur de la théorie atomiste qui fournit à Aristote les éléments permettant à ce dernier de construire une œuvre qui devait devenir une référence durant plusieurs siècles, sans retenir pour autant l’hypothèse de l’atome. L’atomisme de Démocrite fut également la base de la physique dite épicurienne, développée par le philosophe grec Epicure (342 à 270 avant notre ère) pour qui seule cette vision du monde pouvait servir de fondement à l’éthique et libérer les hommes de la crainte des Dieux. Selon cet humaniste, le monde est constitué par un nombre infini d’atomes éternels dans un espace lui aussi infini, atome et espace étant les deux seules réalités éternelles. Les atomes « tombent » uniformément dans l’espace, mais ont la capacité de modifier leur trajectoire. Ces modifications de trajectoires permettent aux atomes de se rencontrer et de se combiner, le plus souvent de façon infructueuse, mais donnant parfois naissance à des « agrégats » momentanément stables, destinés à se défaire dans le temps. L’infinité du nombre des atomes et celle de l’espace conduit Epicure à penser qu’existent des mondes semblables ou différents du notre dans l’Univers. L’ensemble de la philosophie grecque épicurienne fut, ensuite, reprise et développée par le philosophe romain Lucrèce (98 à 55 avant notre ère) à une époque où Rome sombrait dans la décadence et l’anarchie, l’incohérence politique, la corruption, l’instabilité du pouvoir. Un krak financier marquera la fin de la République (cela sonne étrangement moderne !!). Lucrèce, au cœur de cette époque triste et confuse, est d’un grand pessimisme. Il s’acharne cependant à trouver un remède en identifiant l’origine du mal de l’époque et écrit un ouvrage majeur, « De natura rerum » (De la nature des choses), qui marquera toute la pensée latine. Cet ouvrage est la première œuvre philosophique de langue latine qui fut peut-être éditée par Cicéron. Dans cet ouvrage, il affirme, reprenant les idées d’Epicure, que dans le vide, les atomes (les semences indestructibles et en nombre infini) tombent et se déplacent de façon rectiligne et indéfiniment, puisque le temps n’a ni début ni fin. L’univers étant infini, la pluralité des mondes en est une conséquence et celui des hommes n’en est pas le centre. L’homme n’est plus au centre de l’univers. Les atomes subissent des déviations aléatoires (clinamen) qui permettent leur rencontre d’où naissent tous les corps, vivants ou inanimés. Même l’esprit de l’homme est matière. Ces déviations aléatoires suppriment ainsi le déterminisme absolu, une suite sans fin de cause à effet. Elles suppriment également le besoin d’un créateur ou d’un dessein intelligent. La conséquence en est l’évolution des espèces par les processus complexes que ce hasard permet. En résumé, les idées maitresses de Lucrèce sont le mouvement universel, l’indestructibilité de la matière (les atomes sont immortels), la pluralité des mondes dans un Univers infini, l’évolutionnisme. Cette vision du monde, étrangement moderne, fut violemment combattue pour finalement disparaitre, oubliée pendant quatorze siècles ! Elle fut remplacée par la vision de Ptolémée (90-168) qui impose la vision géocentrique aristotélicienne, basée sur l’existence de sphères célestes au centre desquelles se situent la Terre et les hommes, vision qui reçut l’approbation vigoureuse mais obscurantiste de l’Eglise catholique. Cette dernière refusait absolument les démonstrations de Lucrèce affirmant que l’homme était issu du néant et condamné à y retourner, corps et âme. D’après la philosophie de Lucrèce, l’âme disparaît en même temps que le corps et il n’y a rien après la mort. Pour ceux qui s’adonnent à la religion, la vie n’est qu’une course à l’illusion. Toutes les inventions religieuses sont des mensonges, ainsi les anges, les démons, les miracles. Ces illusions entraînent les hommes à préférer la douleur au plaisir. Toutes ces idées ne pouvaient que rencontrer une hostilité violente de l’Eglise qui trouvait dans la vision Ptoléméenne une explication du monde compatible avec ses enseignements, basés sur la centralité de l’homme, sur l’existence d’un Dieu qui sacralisait le repentir et la souffrance. L’exemplaire original de « De natura rerum » fut copié maintes et maintes fois et ces copies se sont retrouvées dans des bibliothèques dont beaucoup brulèrent, signe d’une barbarie persistante à travers les âges. Il fallut attendre 1417 pour que Poggio Bracciolini (1380-1459), humaniste florentin, découvre après de longues recherches, dans la bibliothèque de l’abbaye de Fulda en Allemagne ou dans celle de Murbach en Alsace, un exemplaire oublié de l’ouvrage de Lucrèce qu’il recopia aussitôt et diffusa auprès des intellectuels humanistes de son époque. Immédiatement, l’ouvrage eut des répercussions chez les philosophes et les physiciens de l’époque et des suivantes, jusqu’à nos jours. En 1530, Nicolas Copernic (1473-1563) achève « De Revolutionibus Orbium Coelestium » qui décrit un système solaire héliocentrique qui chasse l’homme du centre d’un monde soi-disant fait pour lui. Son œuvre fut combattue pendant deux siècles par l’Eglise et les fanatiques catholiques tel Jérôme Savonarole (1452-1498) qui brula l’œuvre sur le Bucher des Vanités, édifié à Florence en 1497. Là où l’on brule les livres, on finit par bruler les hommes. Les nazis ne l’oublieront pas, qui débuteront par l’autodafé de 1933 et termineront par la Solution finale ! Mais les physiciens également, qui n’acceptaient pas une théorie incompatible avec la physique d’Aristote, combattirent violemment l’œuvre de Lucrèce. En 1616, l’œuvre de Copernic est mise à l’index. Cela n’empêche pas des esprits éclairés comme Giordano Bruno (1548-1600) de se rebeller contre cet ostracisme. Refusant la théorie des sphères cristallines d’Aristote, il reprend l’idée d’Epicure et de Lucrèce d’un monde et d’un temps infinis, sans début ni fin. La Terre n’est pas au centre de l’Univers, pas même le Soleil. En 1592, il est emprisonné par l’inquisition vénitienne puis par le pape lui-même et, après un long procès, fut condamné au bucher à Rome sur le Campo de’ Fiori où se trouve actuellement sa statue. Bruler les hommes était alors l’arme favorite de l’Inquisition catholique. A la même époque, Galileo Galilei (1564-1642) reprend lui-aussi le modèle copernicien et fonde une physique également incompatible avec celle d’Aristote. Cependant, par prudence devant l’hostilité de l’Eglise, il décrira sa vision dans un ouvrage éristique « Dialogue sur les deux grands systèmes du Monde » (1632), sans vraiment prendre parti. Malgré tout, l’ensemble de son œuvre conduira finalement à la mécanique de Newton. Le système héliocentrique et l’atomisme ne furent admis définitivement qu’au début du XIXe siècle. Ce fut alors le début d’une physique moderne qui fut développée par des scientifiques tels que Lavoisier (1743-1794), Newton (1643-1727), Gay-Lussac (1778-1850), Avogadro (1776-1856), Riemann (1826-1866), Einstein (1879-1955), Friedmann (1888-1925), Hubble (1889-1953), Lemaître (1894-1966). En 1924, Hubble prouve pour la première fois que la nébuleuse NGC 6822 n’appartient pas à la Galaxie (La Voie Lactée) mais est située hors de celle-ci, ouvrant ainsi la voie à la découverte de l’infini d’un Univers en expansion et de sa centaine de milliards de galaxies. L’homme n’est vraiment plus qu’un accident cosmologique. Puis est apparue une nouvelle génération de physiciens, dont les grands nom furent Schrödinger (1887-1961) et Bohr (1885-1962), qui introduit une nouvelle physique dite « quantique » révolutionnant la vision du monde subatomique. Cependant, toute révolutionnaire qu’elle soit, cette nouvelle physique comporte, encore aujourd’hui, des contradictions avec d’autres conclusions physiques prouvées telles celles de la Relativité. C’est alors que Susskind (1940-), Nielsen (1941-), Nambu (1921-) et Schwarz (1941-) imaginèrent et développèrent ce qui s’appelle aujourd’hui « la Théorie des cordes ». Selon cette physique, les ultimes composants de la matière sont des « brins élastiques » en vibration et impossibles à observer à cause de leurs dimensions de l’ordre de la distance de Planck. La physique actuelle renoue étrangement avec l’idée de Démocrite et Leucippe, faisant de la matière un assemblage d’éléments infiniment petits et inobservables, les « semences » lucréciennes, et introduisant une version moderne du « clinamen » aléatoire, le hasard et l’incertitude de Heinsenberg (1901-1976).
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire