Dans un précédent libelle intitulé « Le propre de l’homme » je m’interrogeais sur les différences entre l’homme et l’animal. Aujourd’hui, je voudrais apporter un correctif, ou plutôt un additif. Il existe deux caractéristiques essentielles à l’espèce humaine que j’ai oubliées d’invoquer. Nostalgique de son cocon placentaire, l’homme est constamment à la recherche d’une protection qui lui serait due (en France, cela s’appelle l’État providence et se concrétise dans un slogan : tous fonctionnaires !). De plus, poussé en cela par les religions monothéistes, l’homme se considère comme le centre du monde, c’est-à-dire qu’effectivement tout lui est dû et le monde a été créé pour lui, comme s’il avait passé un contrat synallagmatique avec Dieu. Revendication de protection et égocentrisme, voilà deux caractéristiques complémentaires de l’espèce humaine. Il est donc dans la nature des choses que la première vision que l’homme se soit construit du monde, lorsqu’il s’est interrogé à ce sujet, fut un monde clos et protecteur devant un infini angoissant, et géocentrique, c’est-à-dire dont il occupe le centre, devenant ainsi la justification même de l’Univers. L’Église a toujours invoqué un monde créé par Dieu pour l’homme et pour lui seul, dont il était naturellement le centre. Et seul Dieu pouvait tutoyer l’infini.
Cependant, de tout temps, certains hommes ont cherché à comprendre ce monde en tournant leur regard vers les étoiles. Son infinitude a toujours été une interrogation, mais surtout une difficile appréhension. Déjà, au VIème siècle avant notre ère, Anaximandre de Miles évoquait l’Apeiron, illimité et éternel, réceptacle du mondes clos des hommes. Un siècle plus tard, en écho à Parménide évoquant un monde fini, « comme une balle bien ronde », Archytras de Tarente pose, pour la première fois le paradoxe du bord : que se passe-t-il si, arrivé à la frontière du monde, je masse la main à travers elle ? Il en tire la conclusion que le monde ne peut être qu’infini. Puis vint Aristote, dont la Physique allait imprégner les siècles suivants. Pour lui, le monde n’est pas un espace, mais un « lieu » qui contient le monde clos et sphérique dont la Terre est le centre. Au-delà de la sphère des étoiles, il n’y a tout simplement rien. Pourtant, si Aristote réfute l’infiniment grand de l’Univers, il identifie paradoxalement l’infinie divisibilité d’une ligne (pour lui l’atome de Démocrite n’existe pas) et donc l’existence d’un infiniment petit potentiel. L’homme est toujours au centre. Il faut attendre Aristarque de Samos pour expulser l’homme du centre du monde et le placer en mouvement autour du soleil : le modèle héliocentrique est né mais reste fini. Avicenne et Maimonide reprendront à leur compte, au Xéme et au XIIéme siècle, le concept d’Univers fini, tentant même de déterminer sa dimension. Cette vision restera celle de Copernic au XVéme siècle. Il faudra attendre encore une centaine d’années pour que Giordano Bruno donne ses lettres de noblesse à la cosmologie infinitiste, « car Dieu aux pouvoirs infinis ne peut avoir créer qu’un monde infini ». Mais si l’Univers est infini, alors la pluralité des mondes est inévitable. Cette conclusion lui vaudra le bûcher, l’Église ne pouvant abandonner le caractère sacré de l’homme et donc son unicité. Le siècle suivant, dominé par Kepler, Galilée et Newton, conservera cette vision d’un Univers fini, même si Galilée instille un doute en affirmant « qu’il n’est pas encore décidé si l’Univers est fini ou infini ». Ce n’est qu’au XXème siècle qu’Albert Einstein jettera les bases de la cosmologie moderne en s’appuyant sur des mathématiques nouvelles (les géométries riemanniennes) pour décrire un Univers fini mais sans limites. En résolvant le paradoxe de la portée infinie et immédiate de la gravitation par une solution géométrique de l’Univers, Einstein a ouvert la voie de la cosmologie moderne d’aujourd’hui. Nous savons, à présent, que la géométrie de l’Univers, et donc sa finitude ou son infinitude, dépend de deux paramètres essentiels : la courbure (qui elle-même est fonction de la densité du contenu matériel de l’Univers) et d’un paramètre appelé constante cosmologique. L’incertitude actuelle sur la valeur de ces deux paramètres nous ramène donc à l’interrogation de Galilée : nous ne savons pas aujourd’hui, avec certitude, si l’Univers est infini ou non. Vingt-six siècles se sont écoulés depuis que l’homme s’interroge sur le cosmos et nous n’avons toujours pas de réponse. En aurons-nous jamais une ?
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