La parallaxe est une différence de vision qui se crée lorsque l’on regarde depuis deux points de vue différents. Un point de vue unique fait courir le risque d’une appréciation partielle relevant du politiquement correct. En portant un regard différent, on peut alors percevoir des aspects cachés du monde. Regarder, écouter, et chercher un point de vue décalé peut parfois faire mieux comprendre le monde et le jeu des hommes.
16 février 2010
Ça chauffe ?
Le changement climatique est une certitude pour la très grande majorité des scientifiques. Le grand public reste pourtant assez indifférent à ce phénomène pour la seule raison que ses conséquences sont, en principe, à long terme et que la réflexion cède le pas à l’égoïsme. Comme toujours, l’avenir des générations futures ne préoccupe pas beaucoup la génération actuelle. Pour établir leurs conclusions, les scientifiques n’utilisent pas les prédictions de Nostradamus mais des modèles mathématiques et informatiques qui leur permettent de simuler l’évolution d’un certain nombre de paramètres décrivant le monde qui nous entoure. Ils n’ont pas d’autres moyens que d’utiliser « les lois de la Nature » pour établir leurs modèles, lois que les physiciens traquent depuis des siècles. Deux questions se posent alors. La première est l’exhaustivité des paramètres pris en compte. La nature est un système d’une complexité considérable. Le cycle de carbone, le cycle de l’eau, les échanges entre l’atmosphère et les océans, la dynamique des vents, les lois de la chimie et de la diffusion des gaz, la thermodynamique, la rhéologie et le comportement des glaciers et des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, l’effet albédo, la dynamique des fluides, l’effet de la couverture nuageuse et de la présence de particules de suie dans l’atmosphère, la précession de l’orbite terrestre, l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre, l’activité solaire, la circulation thermoaline, etc …, font partie des lois et phénomènes dont il faut tenir compte. À ceux-ci s’ajoutent les conséquences des comportements humains, comme l’activité industrielle, la déforestation, les transports, la déprédation de la diversité biologique, etc … Il n’est, hélas, pas douteux que ces comportements perdurent dans l’avenir car les hommes se plaignent toujours des conséquences des événements dont ils chérissent les causes. La seconde question qui se pose tient dans le fait que les modèles sont de plus en plus sophistiqués et que leur complexité oblige à des simplifications de représentation. Parmi ces simplifications, la plus importante est, peut-être, l’hypothèse de la progressivité régulière des phénomènes dans le temps, sans rupture brutale, qui conduit à décrire une évolution lente de l’état du monde. Là est le talon d’Achille de ces prévisions. En effet, depuis la fin du XIXème siècle et les travaux d’Henri Poincaré sur les systèmes dynamiques à N corps et leur sensibilité aux conditions initiales, on sait que les systèmes complexes peuvent présenter de brusques changements de comportement imprévisibles. En 1961, les travaux de Lorenz sur la météo et en 1963 sur les attracteurs étranges, les études de Mitchell Feigenbaum en 1974, ont mis en évidence que certains systèmes dynamiques pouvaient basculer de façon aléatoire entre des comportements différents et que l’horizon de leur prévisibilité est très court. Le terme de « chaos », utilisé pour décrire ces phénomènes, a été introduit en 1975 par les deux mathématiciens Tien-Yien Li et James A. Yorke. Ces études ont été popularisées sous le nom évocateur et trompeur d’« effet papillon ». Ce n’est pourtant que depuis peu de temps que le comportement chaotique des phénomènes naturels est envisagé et pris en compte par les scientifiques, que ce soit les climatologues ou les glaciologues. Aujourd’hui, les méthodes de simulation prennent en compte la théorie du chaos pour tenter de prévoir ce qui risque d’arriver aux calottes glaciaires. Et la surprise est grande et assez effrayante. En effet, des phénomènes, impensables jusqu’à des temps récents, se produisent en ce moment au sein de ces calottes groenlandaise et antarctique qui produisent une accélération soudaine de la déstabilisation des grands glaciers, rendant possible, sinon probable, le déversement dans l’océan de quantités phénoménales d’eau douce. Cela conduit à une augmentation du niveau des mers, non pas de quelques centimètres par siècle, mais de plusieurs mètres dans un horizon de temps d’une dizaine d’années ! Il n’est pas certain que ces phénomènes chaotiques se produisent, mais cela reste possible. Comme un avertissement, on a vu en Mars 2002 la plateforme Larsen B de l’Antarctique s’effondrer en quelques jours, structure de 200 mètres d’épaisseur et plus vaste que le Luxembourg qui était restée attachée à la péninsule pendant plusieurs milliers d’années. Le fait que le GIEC reconnaisse aujourd’hui que ses premières prévisions sur le recul des glaciers de l’Himalaya étaient erronées et trop pessimistes ne fait que démontrer la grande incertitude régnant sur la représentativité des modèles utilisés et sur la rapidité des changements à venir. Les systèmes chaotiques se caractérisent par un basculement imprévisible entre deux comportements, ou davantage, complètement différents et une sensibilité extrême à des variations infimes de certains paramètres caractéristiques. C’est ainsi que le réchauffement climatique peut, très rapidement, transformer les puits de carbone que représentent les forêts tropicales, les zones marécageuses et le permafrost en sources de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone et méthane), aggravant l’effet de serre et provoquant un emballement du réchauffement. Il en est de même pour les océans, dans lesquels le gaz carbonique et l’eau produisent de l’acide carbonique dont la décomposition acidifie le milieu et qui, par un processus complexe mettant en jeu les sels de calcium et de silicium apportés par les sédiments continentaux, diminue la capacité de l’océan à absorber le gaz carbonique et le pousse, au contraire, à le rejeter. Le puits de carbone le plus important de la planète, outre le fait que l’acidification détruit la vie halieutique, peut ainsi devenir une source de gaz à effet de serre. Le plus grave est que les nations sont gouvernées par des politiques qui ne sont préoccupés que par le très court terme de leur maintien au pouvoir, ce qui les rend réfractaires à toute action engageant le moyen et long terme. Copenhague en est le meilleur exemple. Nous avons donc une chance non négligeable d’aller, les yeux fermés, vers des ruptures climatiques puis sociétales extrêmement graves.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire