C’était une petite île à quelques encablures de la côte. Un petit bac permettait d’y accéder en fonction des marées. Sur l’île, quelques petits villages faisaient vivre des familles de pêcheurs et d’agriculteurs. Sur la terre de l’île, poussaient de petites pommes de terre qui devaient bientôt atteindre une renommée nationale. Puis des vignes virent le jour et produisirent un petit vin blanc, un peu rêche mais capable d’accompagner à peu près dignement une douzaine d’huîtres ou une mouclade. Tout ce petit monde vivait, non dans l’aisance, mais dans une certaine douceur de vivre. Les maisons sont basses, aux murs de pierres sèches ou revêtues d’un enduit blanchi à la chaux. Les grandes plages sont régulièrement lavées par les vagues de l’océan et le vent vigoureux du grand large. Répartis sur toute l’île, les marais servent de zone de repos pour les oiseaux marins migrateurs et font vivre quelques sauniers. Le ciel retentit du cri des mouettes, du bavardage des bernaches et du cancan des tadornes.
Et puis un jour, on a construit un pont, ce qui signa la mort du petit bac et, surtout, l’invasion de l’île par une foule touristique toujours plus dense. Cet afflux s’est accompagné d’une frénésie d’achat. Les prix ont grimpé spectaculairement et les petits pêcheurs, devant des offres mirobolantes, ont vendu leurs maisons traditionnelles. Celles-ci devenant rapidement rares, on a vu l’île se couvrir rapidement de lotissements et de maisons neuves. On a construit des HLM pour les pêcheurs sans maison, beaucoup ont quitté l’île. Quand vient l’hiver, presque toutes les maisons sont fermées, leurs nouveaux propriétaires ne venant dans l’île que pendant l’été. Les villages donnent aujourd’hui le triste spectacle des maisons aux volets clos et des rues silencieuses. Quelques paysans continuent à planter, vaille que vaille, leurs pommes de terre et leur vigne. Mais ils se trouvent confrontés à un nouveau problème. En effet, la spéculation est devenue frénétique. Aujourd’hui 600 mètres carrés de terrain classé « à bâtir » est vendu 500.000 €, soit environ
850 € le m2. En comparaison, le terrain à bâtir dans la région de Laon se vend entre 5 et 8 €/m2 , soit près de cent fois moins ! Une maison à simple Rez-de-chaussée avec 3 chambres et un bout de jardin se vent plus de 1 million d’euros.
Si, comme dans la région Laonnoise, le terrain agricole vaut 20 fois moins que le terrain à bâtir, voilà que les agriculteurs se trouvent en possession d’une terre qui vaut aujourd’hui autour de 40 €/m2. Ainsi, le paysan qui cultive 2 hectares de pommes de terre se trouve propriétaire d’un capital de 800.000 € !! Bien entendu, il se trouve soumis à l’impôt sur la fortune, alors que son compte d’exploitation est, le plus souvent, déficitaire. Qui a décidé que sa terre valait
40 €/m2 ? Sur quelle décision rationnelle repose cette valeur ? La rareté, dira-t-on, est l’explication : ce qui est rare est cher. Mais le paysan n’a rien à faire de la rareté des terrains à bâtir. Pourquoi devrait-il être victime de la frénésie des capitalistes ? Il regarde son champ tous les matins et la terre qu’il voit est la même, qu’on lui dise qu’elle vaut 5 ou 850 €/m2 ! Il a toujours autant de mal à faire pousser ses patates. Il lui faut toujours le même effort pour labourer et ensemencer son champ, pour récolter et vendre. Il a toujours les mêmes difficultés à boucler son budget.
En conclusion, je veux dire que je trouve parfaitement injuste que l’agriculteur soit pénalisé par un jeu spéculatif dans lequel il n’est pas partie prenante, mais que je trouve parfaitement justifié que ceux qui sont capables de vendre et d’acheter à de tels prix soient imposés au maximum ! L’impôt ainsi récolté devrait servir à aider les agriculteurs de l’île en difficulté.
Où se trouve cette île ? En face de La Rochelle, c’est l’Ile de Ré.
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