Ridicule serait celui qui nierait au téléphone portable la qualité d’avancée technique incomparable. La doxa pare cet instrument de toutes les vertus en transformant l’homme « erectus » en homme « connecticus » ! A l’image d’un banc de dauphins, l’homme est devenu un mammifère connecté en permanence avec ses semblables. Il possédait déjà la liberté de mouvement, il possède aujourd’hui celle d’être localisé à tout moment. L’homo-connecticus a subi les effets de l’évolution et il naît maintenant avec un appendice greffé généralement à sa ceinture, son téléphone portable qui fait désormais partie de son habitus. Cette excroissance lui permet de marcher dans les rues, le nez dans son ustensile, sans un regard pour son environnement ni bien sûr avec ses semblables avec lesquels il se vante pourtant d’être connecté. Il ressemble à ces touristes qui préfèrent regarder à travers l’œilleton de leur appareil photo plutôt que de jouir de la réalité. Tant qu’à être connecté avec ces derniers, l’homo-connecticus n’a plus besoin de leur cacher quoi que se soit et il fait ainsi profiter tous ceux qui l’entourent de ses conversations intimes, toute pudeur disparue. On peut ainsi, aujourd’hui, remarquer dans la rue les effets des mutations de l’espèce. Il arrive souvent de croiser des individus parlant haut et fort en marchant seul ou bien ayant une main solidement accrochée à l’oreille, certains d’entre eux ayant la malchance d’être atteints des deux pathologies en même temps … les pauvres !! C’est ainsi qu’il est devenu courant, dans les transports en commun, de bénéficier de trois ou quatre monologues simultanés.
Qu’on le veuille ou non, l’instrument est l’expression du mépris affiché et assumé. En effet, au cours d’une conversation où l’un des deux protagonistes est affligé de cette pathologie, lorsque le téléphone portable se met à sonner, ou bien le propriétaire de l’appareil décroche au milieu de la conversation et affiche ainsi son mépris pour son interlocuteur, ou bien il ne décroche pas et il signifie ainsi son mépris à son correspondant qui sait pertinemment que celui qu’il appelle est porteur d’un téléphone portable (…justement !). Donc, dans tous les cas, quelqu’un se sent, à juste titre, méprisé.
Les sonneries sont également un point intéressant. Il faut savoir décoder leur signification cachée. La lettre à Elise signifie « je suis un mélomane », un staccato signifie « Voyez comme je suis dynamique », un rire gras signifie « Je suis un rigolo plein d’humour ». La simple sonnerie classique est devenue le signe extérieur d’une ringardise insoutenable.
Les individus les plus atteints par cette addiction sont les jeunes qui ne se rendent pas compte que cet instrument recrée un cordon ombilical qu’ils ont tant voulu coupé ! Les parents peuvent ainsi les joindre partout et tout le temps, leur adresser à tout moment des conseils parentaux ou des injonctions familiales. L’ »homo connecticus » est moins libre qu’avant.
À parler vrai, on peut voir, autour de cette technique, se déchaîner l’esprit inventif d’un marketing agressif et sans scrupule, se développer une industrie d’une rentabilité éhontée, se laisser « plumer » une clientèle sans jugement critique soumise à un effet de mode totalement artificiel. Au Japon et en Corée du Sud, la course aux dernières fonctionnalités à la mode réduit la durée de vie d’un téléphone portable à 6 mois à peine. Les opérateurs ont créé et font fructifier un énorme marché. Et les gogos sont nombreux !
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