L’homme construit sa vie autour d’un projet socio-économique. Il cherche à s’insérer dans la société de telle façon qu’il puisse y vivre en se sentant valorisé et reconnu par tous ceux qui l’entourent. Les éléments nécessaires à cette insertion sont au nombre de deux : l’éducation et le travail. Comment s’étonner alors de la faillite d’une société où l’éducation est inefficace et le travail insuffisant ? L’inefficacité de l’éducation se mesure au nombre des jeunes qui sortent du système éducatif sans aucune qualification, soit 150 000. L’insuffisance du travail se mesure au nombre de chômeurs, soit entre 9% et 10% de la population active. Ces deux indicateurs montrent à l’évidence que l’entreprise France est dans une mauvaise passe.
La construction d’un projet de vie passe (devrait passer) par le travail qui reste l’élément essentiel de la reconnaissance sociale et de la réussite économique. Le chômage conduit inévitablement à l’exclusion. Encore faut-il que le travail soit ressenti comme une valeur et non comme une contrainte. Or, l’environnement économique, les politiques, les syndicats, les médias ont tout fait pour dévaloriser le travail et pousser les jeunes générations à ressentir le travail comme une contrainte pesante.
L’environnement économique d’abord. L’entreprise est, aujourd’hui, confrontée à une concurrence mondiale féroce et croissante qui lui impose une ligne de conduite qui n’a plus rien à voir avec celle des années 1980. L’adaptation permanente de ses structures, de son organisation, est la clé de sa survie. S’adapter ou disparaître, tel est son dilemme actuel. La conséquence immédiate est que l’emploi à vie n’existe plus. Tout salarié est condamné à changer d’emploi, c’est-à-dire qu’il perdra un emploi avant d’en trouver un autre. Cette situation est déstabilisante et angoissante lorsque la recherche d’un nouvel emploi est longue et aléatoire. De plus, cette certitude d’avoir à changer d’employeur entraîne la disparition du sentiment d’appartenance et de la motivation au travail du salarié. Cela est particulièrement sensible dans les grandes entreprises.
Les politiques ensuite. Un certain nombre d’entre eux, appartenant, il est vrai, à ce qui s’apparente davantage à des groupuscules qu’à des partis politiques, ont un discours démagogique, parfois violent, qui présentent les chefs d’entreprise comme des voyous disposant de privilèges indécents, et licenciant leur personnel par sadisme, voire par racisme. Le ridicule d’un tel discours est caché derrière une polémique habile qui trouve l’écoute des plus défavorisés et de tous ceux qui sont en difficulté. L’âme humaine est ainsi faite que la comparaison entraîne souvent la jalousie et, par suite, la revendication vindicative. Il est tentant, pour certains hommes politiques, de jouer sur ces sentiments. Comment valoriser le travail lorsque l’on vilipende l’espace où il existe ? Comment croire à la valeur du travail lorsque l’entreprise est présentée comme le lieu de tous les maux ? Que va faire un jeune qui ne croit plus en la valeur du travail, qui constate de plus que « l’ascenseur social » a très peu de chance de fonctionner pour lui ? Que lui reste-t-il, sinon la violence urbaine ?
Les syndicalistes, maintenant. La plupart d’entre eux ont un discours qui n’est pas très différent dans le fond, sinon dans la forme, du discours des politiques dont nous parlions ci-dessus. La gestion des entreprises est mise en cause dès qu’une difficulté se présente. Le comportement des chefs d’entreprise est stigmatisé. Certes, il y a un certain nombre de patrons voyous, mais il y a exactement le même pourcentage de syndicalistes peu recommandables, la majorité d’entre eux étant des hommes de bonne volonté. Comment ne pas comprendre qu’un patron ne licencie jamais par plaisir ! Lutter pour améliorer les conditions de travail est justifié dans la mesure où cette revendication ne met pas en péril la survie de l’entreprise. Et toutes les entreprises ne font pas partie du CAC 40 ! Le monde évolue, la société également. S’arquebouter sur des choix faits il y a cinquante ans ou plus, dans une situation économique et environnementale totalement différente, est parfaitement réactionnaire.
Il reste les médias. La télévision, tout d’abord, qui propose des publicités (mensongères ?) pour des crédits faciles, des gains de sommes considérables sur de simples coups de téléphone, toute une série de jeux où l’argent est roi. Que dire du spectacle des sportifs gagnant des salaires énormes simplement en tapant du pied dans un ballon ? Mais la télévision n’est pas le seul média à faire perdre le sens de la réalité aux jeunes ; il y a les jeux vidéo qui les plongent dans un monde irréel, un monde où tout se gagne sans effort, où l’on peut recommencer si l’on a perdu, autant de fois qu’il faut pour enfin gagner. Le contraire de la vie réelle. Pas d’effort, pas de risque, telles sont les caractéristiques essentielles de ce monde virtuel où les jeunes passent de plus en plus de temps.
Dans ces conditions, la valeur du travail ne peut que se détériorer chez les jeunes générations. La « valeur » du travail c’est le sentiment d’avoir une place utile et reconnue dans la société. C’est le sentiment que sa vie a un but et que l’on est sur la voie adéquate. Perdre le sens de la valeur du travail, c’est se perdre soi-même. Il serait temps que les acteurs de la vie sociale et économique s’en aperçoivent. Une société qui valorise davantage le capital que le travail coure à sa perte car elle stérilise tout progrès : la valeur ajoutée n’existe que par le travail. Favoriser de façon outrancière l’actionnaire au détriment du salarié est non seulement une hérésie économique à courte vue mais également un crime contre la société. Malheureusement ce concept n’existe pas juridiquement.
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