En 1988, Pierre Bourdieu écrivait ce petit texte qui, du fait des circonstances, retrouve toute son actualité, si tant est qu’il l’ait jamais perdu !
Le monde politique est le lieu de deux tendances de sens inverse : d'une part, il se ferme de plus en plus complètement sur soi, sur ses enjeux ; d'autre part il est de plus en plus directement accessible au regard du commun des citoyens, la télévision jouant un rôle déterminant dans les deux cas. Il en résulte que la distance ne cesse de croître entre les professionnels et les profanes ainsi que la conscience de la logique propre du jeu politique.
Il n'est plus besoin aujourd'hui d'être un expert en sociologie politique pour savoir que le nombre des déclarations et des actions des hommes politiques, non seulement les "petites phrases" sur les "grands desseins" ou les "grands débats" sur les petites divergences entre les leaders ou les "courants", mais aussi les plus graves décisions politiques, peuvent trouver leur principe dans les intérêts nés de la concurrence pour telle ou telle position rare, celle de secrétaire général, de premier ministre ou de président de la République et ainsi à tous les niveaux de l'espace politique. La discordance entre les attentes de sincérité ou les exigences de désintéressement inscrites dans la délégation démocratique et la réalité des microscopiques manœuvres contribue à renforcer un indifférentisme actif …. Mais elle peut aussi inspirer un sentiment de scandale qui transforme l'apolitisme ordinaire en hostilité envers la politique et ceux qui en vivent.
C'est ainsi que les volte-face répétées de dirigeants plus évidemment inspirés par le souci de leur propre perpétuation que par les intérêts de ceux qu'ils font profession de défendre ne sont pas pour rien dans le fait que le Front National recrute souvent aujourd'hui dans les anciens bastions du parti communiste ….
J’ajouterai que ces microscopiques manœuvres sont le signe évident de la dévalorisation de la politique aux yeux des hommes politiques eux-mêmes. Il n’est que de constater, avec effarement, la multiplicité des candidatures potentielles à la présidence de la République (40 à la date d’aujourd’hui) suscitée par le seul besoin de faire parler de soi et d’essayer de récolter le pactole promis à ceux qui atteindraient une audience minimale. A la notion d’une « certaine idée de la France » s’est substituée une « idée certaine des intérêts personnels ».
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