30 décembre 2005

L'offre et la demande

La science économique possède son Saint-Graal : la loi de l’offre et de la demande qui explique (ou tente d’expliquer) la variation des prix en fonction de la variation relative de l’offre et de la demande de produits. Si l’offre augmente, la quantité de produits mis sur le marché augmente et – à demande constante – il y a surproduction entraînant une baisse des prix, tous les produits ne trouvant pas preneur. Au contraire, si la demande augmente à offre constante, il y a pénurie de produits et les prix augmentent. Il faut convenir que cette démonstration relève davantage du bon sens que de la démonstration scientifique. Quoiqu’il en soit, l’analyse peut aller plus loin. En effet, en cas d’une crise de l’offre – c.à d. une offre de produits insuffisante par rapport à la demande potentielle – les produits sont rares et, c’est bien connu, ce qui est rare est cher. Les prix augmentent donc : il y a inflation. On peut ajouter que les plus favorisés gardent un accès au marché des produits malgré son renchérissement, c.à d. que la « fracture sociale » s’aggrave. Si, par contre, on se trouve en présence d’une crise de la demande, il y a alors trop de produits sur le marché, c.à d. que l’on se trouve en état de surproduction. Les prix diminuent (en principe). La surproduction entraîne une surcapacité des ressources de production, donc de main-d’œuvre. L’ajustement des prix s’accompagne ainsi d’une augmentation des licenciements donc du chômage. La « fracture sociale » s’aggrave également dans ce cas ! On débouche ainsi sur la seconde grande loi de la science économique : il faut choisir entre inflation et chômage. J’ajouterai que, dans les deux cas, ce sont les plus faibles qui souffrent le plus.
Ceci permet de comprendre la situation actuelle en Europe. La Banque Centrale Européenne a choisi de maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé ce qui rend l’argent cher, donc ce qui limite le volume des emprunts de consommation qui alimentent la demande. Celle-ci s’affaiblit et, donc, crée une crise de la demande qui limite l’inflation au prix d’un chômage élevé. Inflation faible, chômage élevé, telle est la situation en Europe. La banque Centrale Américaine a fait le choix contraire. Le résultat est une demande croissante grâce à l’endettement important des américains (alors que les européens thésaurisent), au risque d’une reprise de l’inflation.

20 décembre 2005

Le temps qui passe

Un des objets le plus mystérieux de ce monde est le temps. Nous vivons avec lui, comme avec un être familier, sans nous poser de questions sur sa nature. Pourtant, le fait même que nous vivons avec lui devrait nous pousser à nous interroger sur son existence en dehors de nous, je veux dire en dehors de toute conscience humaine. Le temps a-t-il une existence intrinsèque ? L'image que nous en avons, de façon intuitive et donc subjective, est celui d'un écoulement, d'un flux permanent et orienté, comme un fleuve allant vers la mer. Jamais un fleuve ne remonte vers sa source. Nous sommes sur un pont et nous regardons le fleuve s'écouler de manière irréversible. Nous ne le dirons jamais mieux que le poète :

Passent les jours, passent les semaines,
Ni le temps passé, ni les amours reviennent.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine.
Vienne la nuit, sonne l'heure,
Les jours s'en vont, je demeure.
Apollinaire

Bien sûr, la science examine le temps. Plutôt, elle a besoin de lui pour construire les lois de la Nature. Le temps lui est nécessaire pour expliquer le monde. Mais voilà que son explication comporte sa propre contradiction. Toutes les explications de cette physique utilisent un temps qui est réversible. Autrement dit, selon les équations de cette physique du monde, tout pourrait se dérouler à l'envers. C'est d'ailleurs cette expérience de pensée à l'envers qui permet à la physique quantique et à la Cosmologie de remonter à l'origine du monde pour tenter d'en décrire un scénario. Malheureusement, en remontant très loin dans le passé, c'est-à-dire en revenant aux premiers instants de l'Univers il y a un peu plus de treize milliards d'années, dans les premiers milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes de seconde, les lois de la physique ne s'appliquent plus. Il n'y a plus d'espace ni de temps. Il n'y a plus qu'un "océan" d'énergie quantique dont une "région explose" pour donner naissance à un Univers (un seul ?) qui permet le développement d'êtres pensants capables de se poser des questions sur l'origine de l'Univers. Pourquoi le temps apparaît-il "à un moment donné" ? Certains physiciens pensent d’ailleurs que le temps précède l’existence, alors que,pour d’autres, le temps est né avec le big-bang. Pour certains, il n’est qu’un paramètre spatio-temporel réversible, ce qui est en contradiction totale avec l’irréversibilité de la vie. N'est-il pas alors un paramètre commode pour les observateurs que nous sommes, nous permettant de raconter une histoire, celle des évènements du monde ?

C'est bien le seul point qui soit sûr : l'événement existe, puisque nous le vivons. Nous le vivons dans l'instant où il se produit, c'est-à-dire dans l'instant présent. Mais qu'est-ce donc que ce présent, coincé entre un passé qui n'existe plus et un futur qui n'existe pas encore ? Qu'est-ce donc que cet instant figé entre deux néants, entre deux inexistences ? Il a toutes les apparences d'une éternité, sans passé ni futur, elle aussi. Le présent est une éternité, nous ne sommes pas sur le pont mais sur un bateau qui nous emmène ?

Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame,
Las, le temps non, mais nous nous en allons.
Ronsard

Notre époque est en manque de temps. Le temps est devenu une denrée rare. Il ne faut pas perdre de temps, il faut en gagner, comme on gagne de l'argent.
Economie de temps Le temps des cerises
Perdre du temps Prendre son temps
Le temps c'est de l'argent Gagner du temps
Le passe-temps Le contretemps
Donner du temps au temps Dans le temps
De temps en temps, de temps à autre Temps mort
Perdre son temps Les trois temps de la valse
La pluie et le beau temps La couleur du temps
La mi-temps Le tiers temps
Changement de temps Entre-temps
Il est temps Temps réel, temps partagé
Le monde manque de temps, l'urgence est partout, l'urgence est devenue le suprême symbole de l'activité humaine. L'importance se mesure au fait que l'on manque de temps. Moins on a de temps, plus on est important. Dans le même temps (!), on ne parle que de la maîtrise du temps. Illusion et présomptueuse ambition ! La durée est une privation d'éternité (Bergson).

18 décembre 2005

Les grands singes

J’ai entendu hier un scientifique expliquer que les grands singes ont 98% de leur patrimoine génétique identique à celui de l’homme. Cette proximité des espèces en font nos cousins. Le scientifique expliqua alors que la différence entre eux et nous est que nous, les hommes, avons conscience de ce cousinage alors que les grands singes ne l’ont pas. Que sont alors ces « hommes » - nombreux à n’en pas douter – qui ne savent pas que ce cousinage existe ou qui le réfutent ? Tous les hommes ne seraient-ils pas « hommes » ?
Une autre réflexion m’est venue à l’esprit. Compte tenu de cette grande proximité entre les hommes et les grands singes, la classification simpliste qui distingue d’un côté les hommes et de l’autre les animaux est-elle adéquate ? Les grands singes ne forment-ils pas une catégorie intermédiaire ? Les grands singes ont la conscience d’eux-mêmes, la conscience des autres, la conscience du groupe. N’est-ce pas suffisant pour ne pas les considérer comme des animaux ?

16 décembre 2005

Lettre ouverte à la CGT

Il m’arrive de temps à autre d’écrire aux responsables politiques et syndicaux. La plupart du temps, je reçois une réponse. Celle-ci ne me satisfait pas toujours mais, au moins, elle existe.
J’ai fait parvenir la lettre ci-dessous au secrétaire général de la CGT, il y a deux mois. Elle est restée sans réponse. Il ne peut y avoir que deux raisons à ce silence : ou bien ce que j’écris est vrai et Monsieur le Secrétaire ne trouve pas d’argument justificatif, ou bien ce dernier traite par le mépris ce que ressentent les citoyens.

Monsieur le secrétaire général,

La tragédie de la SNCM a trouvé sa conclusion en fragilisant à l’excès une entreprise qui aura beaucoup de mal à retrouver un fonctionnement normal. Le risque de 2500 chômeurs n’est pas écarté.L’attitude « jusqu’au-boutiste » de la CGT et, en particulier de la CGT Marseille, a conduit à cet état de choses. Les arguments développés par votre organisation au gré du conflit ont été de plus en plus spécieux, voire mensongers. Entendre dire que le privé ne peut remplir une obligation de service public est un énorme mensonge, Air France ou France Télécom étant des preuves irréfutables du contraire. Ignorer les lois et le fonctionnement juridique des sociétés est attentatoire au bon sens. Entendre un responsable syndical dire que le déficit chronique de la SNCM s’explique et se justifie par l’existence de la concurrence est un véritable scandale. Diffamer la concurrence (Corsica Ferries en l’occurrence) en prétendant que les conditions sociales et de travail sont déplorables est un mensonge éhonté et c’est prendre les salariés de cette entreprise concurrente pour des imbéciles (ils n’ont jamais fait grève pour demander la corsification des emplois !). Prétendre que les pavillons de Corsica Ferries sont de complaisance est une diffamation dont, je l’espère, vous aurez à rendre compte. Prétendre l’existence de « magouilles » entre l’Etat et les repreneurs est aussi une diffamation. Dire haut et fort que le contribuable a la charge de renflouer en permanence une entreprise qui a été conduite à deux doigts du dépôt de bilan par des grèves à répétition, des exigences syndicales exorbitantes, une productivité du personnel déplorable du fait d’un personnel pléthorique relève de l’irresponsabilité totale. Taire le fait que les restructurations associées aux diverses recapitalisations de l’Etat n’ont pas été réalisées à cause des pressions syndicales est un mensonge par omission. De plus, comme cerise sur le gâteau, la collusion finale avec une entreprise terroriste corse, le recours à des actes de piratage, ont décrédibilisé à jamais la CGT (n’avez-vous donc pas vu Mr. G. Talamoni siéger avec les marins corses ?). Vous êtes responsable de cette organisation (de démolition), vous êtes donc seul responsable de ce gâchis. C’est un mauvais coup porté au port de Marseille, à la ville de Marseille (où les grèves de la CGT sont innombrables), à la région PACA,à la Corse elle-même et au-delà au pays tout entier. L’histoire vous jugera (ainsi que votre représentant marseillais).

15 décembre 2005

La devise républicaine

Liberté – Egalité – Fraternité. La devise de la république est fille de la Révolution Française. Elle est porteuse des idéaux de cette révolution. C’est-à-dire des idéaux datent de 215 ans. Je me sens en droit de me poser la question de savoir s’ils correspondent encore aux exigences de la Nation actuelle. Certes, la Liberté est une valeur de première importance qu’il faut défendre bec et ongles. Mais peut-on prétendre qu’elle est menacée en France aujourd’hui ? Certes non. Par contre, la composition de la population française s’est profondément modifiée. Les derniers évènements ont montré que l’intégration dans la société était devenu un réel problème. La Citoyenneté devient un nouvel idéal.
L’égalité porte en elle le danger de l’égalitarisme. Or, l’égalitarisme c’est la négation des différences qui font la richesse d’une population. Ce n’est pas d’égalité dont la Nation a besoin mais d’équité. Dans ce domaine, bien des progrès sont à faire.
Quant à la Fraternité, ne relève-t-elle pas d’un voeu pieux ? Comment doit-elle se manifester concrètement ? À ce concept non opérationnel, il me semble plus efficace de lui substituer celui de Solidarité.
Ainsi, je propose de remplacer le triptyque Liberté – Egalité – Fraternité par Citoyenneté – Equité – Solidarité.
Qu’en pensez-vous ?

12 décembre 2005

Vive l'artisanat !

Bien sûr, j’ai un ordinateur ! J’ai acheté mon imprimante il y a un an et demi exactement. Ce matin, en changeant les cartouches d’encre, je me suis aperçu que les buses d’alimentation en encre étaient vraisemblablement encrassées. Il m’est, bien entendu, impossible de les nettoyer moi-même compte tenu du fait qu’il faut démonter une partie de l’appareil et qu’il faut avoir un outillage spécialisé. Je décide donc de trouver un réparateur dans Paris. Par Minitel (en tapant EPSON – c’est la marque de mon imprimante – et réparateur), j’obtiens 3 adresses : une dans le deuxième arrondissement (rue Chabanais),, une dans le quinzième (rue des Entrepreneurs) et une dans le neuvième (rue de Trévise). Méfiant, je décide d’aller me renseigner sur place avant d’apporter mon imprimante qui est plus encombrante que lourde. Me voilà parti pour la rue Chabanais. En arrivant au numéro indiqué, je trouve un sombre et vieil immeuble de bureaux avec une gardienne rébarbative, assise derrière une méchante table au pied de l’escalier. Je me renseigne sur l’existence de la société de réparation de matériel EPSON. La gardienne des lieux m’apprend alors que c’est bien là mais qu’il n’y a personne car, me dit-elle, tout le monde est parti en clientèle. Demandant comment m’y prendre, il m’est répondu que je dois laisser mon imprimante à la gardienne justement et que je serai prévenu lorsque la réparation sera faite. Je propose donc d’aller chercher mon imprimante mais, me dit la gardienne, il faut d’abord prévenir les gens de l’entreprise. Comme ils ne sont pas là, je suggère que je pourrais téléphoner. C’est cela, acquiesce la gardienne, mais elle pense que j’aurai beaucoup de mal à les joindre car …ils ne sont jamais là ! Je pense alors qu’il est plus sage de trouver un autre réparateur. Je pars donc pour le 15ème arrondissement. Arrivé devant le numéro indiqué par le Minitel, je trouve un immeuble de logements avec deux magasins en rez-de-chaussée mais aucun réparateur de matériel informatique ! Découragé, je décide d’abandonner les pistes télématiques et d’aller chez SURCOUF (12 ème arrondissement). Après tout, c’est là que j’ai acheté mon imprimante. Me voilà reparti à nouveau. Arrivé chez Surcouf, je demande aux renseignements si les réparations d’imprimantes sont possibles. Que croyez-vous que l’on me répondit ? Les seuls matériels pris en charge pour réparation sont ceux sous garantie. Mon imprimante – que je trouve de plus en plus déprimante - ne l’est plus depuis 6 mois. Mais, me dit-on, il y a un réparateur à deux pas … que je m’empresse de faire. J’arrive 5 minutes après la fermeture du magasin, prévue de 12 h. à 14 h. Il est effectivement 12 h.05.
Pris d’un remords, je retourne chez Surcouf et je me rends au stand EPSON, pensant trouver un spécialiste de ce matériel. Je trouve effectivement quelqu’un à qui j’expose mon problème.
Je demande de mettre en route une des nombreuses imprimantes du stand pour que je puisse expliquer ce qui se passe, mais cela s’avère impossible car il n’y a aucun cordon d’alimentation électrique sur le stand. Entre-temps, le spécialiste me précise que je ferai mieux d’acheter une imprimante neuve car, depuis que la mienne est sortie, il y a eu deux nouveaux modèles qui ne valent « que » 90 Euros. Précisant que mon problème est lié aux cartouches d’encre, le « spécialiste » EPSON me conseille alors d’aller plutôt voir le stand des cartouches, car il n’est pas spécialiste de ce petit matériel. Comment n’y avais-je pas penser moi-même ! Je me rends donc au stand des cartouches où j’expose à nouveau mon problème. Le préposé aux cartouches me répond qu’il est navré mais qu’il ne peut m’aider car il n’est pas spécialiste EPSON ! Un peu écœuré, il faut bien le dire, je rentre chez moi où il me reste trente minutes avant de repartir, cette fois avec l’imprimante sous le bras, pour l’ouverture à 14 h. du réparateur. Après avoir poireauter un petit quart d’heure devant la porte de ce dernier, je peux enfin déposer mon imprimante en demandant de procéder à un nettoyage des buses d’injection d’encre. Le prix annoncé est 50% plus cher qu’une imprimante neuve ! Je me sens déstabilisé un moment et je m’apprête à repartir avec mon imprimante lorsque je me dis que, en changeant de matériel, j’ai 3 chances sur 4 d’avoir de gros problèmes de mise en route comme cela se produit chaque fois qu’on achète un matériel informatique. Je paierai donc 50% de trop, mais je garderai un matériel qui marche. Comme je m’étonne quand même du prix annoncé, on m’explique, qu’en fait de nettoyage, on va remplacer les buses d’injection. Je me dis que j’ai la chance qu’on ne me propose pas de changer l’électronique, la mécanique, les circuits imprimés et je ne sais quoi encore !
Si je raconte toutes ces pérégrinations, c’est qu’elles me suggèrent quelques réflexions. Tout d’abords, en France, tout est archi-compliqué et rien ne se passe normalement. Ensuite, la réparation et l’entretien ne font plus partie de la culture ambiante. On achète et on jette, mais on ne répare pas. Nos parents et nos grands-parents seraient horrifiés d’un tel comportement. La société du gâchis est-elle la fille de la société dite « d’abondance » ? Ou bien la civilisation de la fabrication robotisée a-t-elle détruit les savoir-faire ? Ensuite, il faut bien constater qu’il est moins cher de traiter avec le constructeur du produit – qui est généralement une grande entreprise – qu’avec le réparateur – qui est le plus souvent une PME. Comment celle-ci peut-elle survivre s’il est moins coûteux de s’adresser à la grande entreprise de fabrication ? Cela semble bien improbable ! Et pourtant, n’entend-on pas dire et rabâcher que les emplois potentiels se trouvent dans les PME ? Peut-être. Encore faudrait-il que ces PME traitent les clients et les consommateurs avec un peu de sérieux !

09 décembre 2005

La France va mal

Un raisonnement tenu pratiquement de façon permanente par les syndicats est le suivant : pour créer des emplois, il faut augmenter la demande et donc le pouvoir d’achat des salariés en augmentant les salaires. Le pouvoir d’achat augmentant et entraînant la demande, la production augmentera et les entreprises devront embaucher. De plus, si la production augmente, le PIB augmente d’autant et le pays s’enrichit. Raisonnement simple et dont la simplicité même entraîne l’adhésion populaire. Imaginons alors un épicier de quartier ayant un employé. Pour augmenter le pouvoir d’achat de son employé, il augmente son salaire. À partir de là, de deux choses l’une : ou bien il réduit ses marges et c’est alors son propre pouvoir d’achat qui diminue, ce qui annule l’effet sur la demande de l’augmentation de salaire de son employé. Ou bien il augmente ses prix de vente pour préserver ses marges et il se trouve confronté à la concurrence de l’épicier d’à côté dont les produits sont moins chers que les siens ; il perd une partie de sa clientèle, son chiffre d’affaires diminue, son PIB également, ses marges deviennent négatives, il doit licencier. Cet exemple montre que l’on peut retourner un raisonnement économique et obtenir une conclusion tout aussi crédible. Ceci vient du fait que les raisonnements économiques sont pratiquement toujours cycliques : pour diminuer le chômage, il faut augmenter l’offre d’emploi, donc la production, donc la demande, donc le pouvoir d’achat, donc la production, etc… On peut tout aussi bien dire que pour diminuer le chômage il faut augmenter la production, donc augmenter la demande, donc diminuer les prix de vente, donc les coûts de production, donc il faut limiter les salaires, ce qui diminue les prix, ce qui augmente la demande, etc…La contradiction vient du fait que les deux cycles ne sont pas indépendants.
Le fonctionnement de l’économie se décrit par un grand nombre de cycles qui ne sont pas indépendants les uns des autres. Pour des raisons démagogiques, les hommes politiques et les représentants syndicaux isolent le cycle qui leur convient sur l’instant et ignorent totalement l’interdépendance avec les autres cycles.
Si maintenant on examine la situation de l’ensemble des épiciers, il est clair que le transfert de clientèle entre l’épicier trop cher et l’épicier moins cher équilibre la perte de PIB du premier par l’augmentation du PIB de l’autre, mais qu’au total, le PIB global n’augmente pas. Un pays n’est jamais qu’un grand ensemble d’épiciers. Un transfert de production entre ces épiciers ne peut pas augmenter le PIB national. Pour que celui-ci augmente, il faut que les exportations augmentent, c’est-à-dire que le PIB de la nation augmente au détriment de celui d’un autre pays (la Terre est un système fermé dont la quantité des ressources est fixée une fois pour toutes et qui ne peut augmenter : la quantité d’eau sur Terre est la même depuis plusieurs milliards d’années). Donc, pour que le chômage diminue, la condition nécessaire n’est pas l’augmentation des salaires mais celle des exportations. Il faut donc savoir fabriquer des produits (ou des services) que les autres pays ne savent pas fabriquer (exemples : les Airbus A320 et A380 ou le TGV).
La seconde idée concernant la science économique qui est encore plus perturbante est la suivante : l’idée de base et fondamentale de toutes les théories économiques est ce que les économistes appellent « le comportement rationnel des acteurs ». Qu’entend-on par là ? Le comportement d’un acteur est dit « rationnel » lorsqu’il vise à satisfaire son intérêt particulier. Or la systémique (qui est aussi une science) démontre que la somme des intérêts particuliers des acteurs d’un même système ne conduit pas (sauf exception) à l’intérêt général c’est-à-dire celui du système tout entier. Donc la recherche par chaque acteur de son seul intérêt particulier ne conduit pas à l’intérêt de la société et de la nation. L’économie semble donc fondée sur une magistrale erreur. Ne serait-ce pas là la vraie cause du chômage ? Une économie basée tout entière et uniquement sur le comportement « rationnel » des acteurs s’appelle le libéralisme (qu’il soit « néo » ou « ultra »). C’est une économie dont l’objectif n’est pas l’intérêt général. L’économie de marché est une économie basée sur la concurrence, c’est-à-dire sur la compétition des acteurs et sur l’adage « que le meilleur gagne ». S’opposer à l’économie de marché c’est interdire aux poissons de nager dans l’eau. Par contre, si une économie de marché est laissée totalement libre dans son fonctionnement, elle dérivera vers le plus facile, c’est-à-dire le libéralisme. C’est à ce moment que l’économie se transforme en économie politique. Ou bien le politique fait le choix du laisser-faire (« la main invisible » d’Adam Smith) et c’est l’économie libérale de marché ou bien il met en place des règles d’accompagnement de l’économie de marché de façon que l’intérêt général soit préservé ; c’est l’économie sociale de marché. Encore faut-il que le politique définisse clairement ce qu’il entend par intérêt général. En particulier, il faut faire un choix sur la façon dont le pays entend faire face à la concurrence : ce peut être par les prix (économie libérale mais sans imagination) mais ce peut être aussi par l’innovation, l’imagination, la qualification, etc…Et cela c’est du pur politique. De plus, en face de l’inévitable concurrence des pays en développement, les pays développés ne peuvent lutter efficacement sur les prix des produits fabriqués par ces pays sans remettre gravement en cause les avantages et protection sociaux. Le problème des pays développés n’est donc pas un problème de demande et de pouvoir d’achat, car les consommateurs trouvent à bas prix les produits proposés par les nouveaux entrants, mais un problème d’offre, c’est-à-dire un problème de capacité à imaginer et produire des produits et services que les autres ne savent pas (encore) fabriquer. Il faut donc investir dans la recherche, l’éducation et l’innovation. C’est un plan à moyen et long terme. À supposer que ce plan soit enfin mis en œuvre, s’ouvre donc une longue période de difficultés pour les pays développés et endettés.
Les entreprises ont, comme toujours, une longueur d’avance sur les politiques et sur les syndicats. Elles ont tiré les premières conséquences de la mondialisation de la concurrence en se « recentrant » sur ce qu’elles savent faire le mieux et qui présente la plus grande valeur ajoutée, ce que l’on appelle leur cœur de métier. Toutes les activités périphériques, qui ne sont pas différenciées, sont sous-traitées ou confiées à des travailleurs de statut précaire. Ce mouvement de réorganisation est irréversible. Il appartient aux politiques de le faciliter en faisant en sorte que les lois et le code du travail ne soient pas une entrave à ce mouvement. En effet, il est illusoire de croire, comme le clament les syndicats, que tous les salariés peuvent bénéficier d’un contrat de travail à durée indéterminée et un emploi à vie. Seuls, les salariés attachés aux activités du cœur de métier peuvent, dans une certaine limite, bénéficier d’un contrat à durée indéterminée, car ces activités sont, généralement, les moins touchées par les variations du marché. Il n’en est pas de même pour toutes les autres activités périphériques pour lesquelles le volume de main d’œuvre doit pouvoir varier en fonction de la conjoncture. Pour ces salariés, l’activité est nécessairement flexible et les politiques doivent imaginer un droit du travail qui préserve les droits fondamentaux des salariés en tenant compte de la flexibilité. Il est certain que cela va à l’encontre du discours syndical. La formation tout au long de la vie professionnelle devient un facteur clé de succès, sujet sur lequel les mêmes syndicats sont étrangement silencieux.
Enfin, pour s’enrichir, un pays doit travailler. C’est une évidence et c’est ce que nous rappelle l’histoire industrielle de notre pays et ce que nous démontre aujourd’hui les pays en voie de développement. Mais nous semblons avoir perdu la mémoire et la vue ! Les difficultés du pays ont de multiples causes et leur analyse alimente les journaux et les polémiques à longueur de temps. Mais la principale reste le fait que les Français ont perdu (on leur a fait perdre) le goût du travail et du risque : leur rêve est de travailler vingt heures par semaine comme fonctionnaire pour avoir la garantie de l’emploi, d’obtenir un avancement à l’ancienneté (surtout pas au mérite) ainsi qu’une augmentation de salaire automatique, d’avoir huit semaines au moins de congés payés et de partir en retraite à l’âge de quarante-cinq ans avec une prime de pénibilité généralisée avec 95,5% du salaire de fin de carrière. Et ceci pour tous, bien entendu … pour éviter toute compétition ! Lorsqu’on fait remarquer que les Français sont les occidentaux qui travaillent le moins, la réponse bateau (et fausse) que l’on entend est que les Français ont la productivité la plus élevée. Premièrement, ce n’est pas vrai et, deuxièmement, on ne peut justifier en même temps la réduction du temps de travail par l’augmentation de la productivité et se plaindre des conditions de travail !
La devise républicaine (liberté – égalité – fraternité) est comprise, pour ce qui concerne son article deux, comme imposant, non pas l’égalité, mais l’égalitarisme ; alors que la seule égalité qui vaille est l’égalité des chances. Pour tout le reste, il s’agit d’équité. Ce rêve est alimenté par le discours et l’attitude des syndicats français qui sont les plus sclérosés, sectaires et réactionnaires du monde occidental. Leur capacité de blocage du fonctionnement du pays leur permet de refuser tout changement dans un monde où tout se modifie et s’accélère. Tout changement se heurte systématiquement à un refus, que se soit pour réformer la Sécurité sociale, le code du travail, l’âge de la retraite, l’Education Nationale, le fonctionnement de l’Assistance Publique et des hôpitaux, etc …Qui dira un jour la responsabilité des syndicats dans le retard français dans presque tous les domaines ? Qui, finalement, est responsable du manque de compétitivité du pays ? Le manque de courage des gouvernements n’est pas seul en cause (en fin de compte, il n’y aurait jamais eu de T.Blair sans M. Thatcher !). L’aveuglement sectaire des syndicats, associé à leur formidable pouvoir de nuisance (alors que leur représentativité est fortement contestable), a une lourde part de responsabilité dans le déclin du pays.

06 décembre 2005

Pourquoi Parallaxe

La parallaxe est le décalage de point de vue qui s’installe lorsque l’on regarde quelque chose de deux points de vue différents. Ce décalage permet souvent de mieux comprendre. Lorsqu’on regarde un cube de face, on ne voit qu’un carré. Si l’on se contente de ce seul point de vue, le risque d’une erreur d’appréciation est grand. Mais si l’on décale un peu le point de vue, on peut alors apercevoir autre chose que l’on peut, avec plus de raison, identifier à un cube. Regarder, écouter, et chercher un point (ou plusieurs) de vue différent peut parfois faire mieux comprendre le monde et le jeu des hommes. Voilà pourquoi j’ai choisi ce nom de « parallaxe »

Le dernier mot à la mode

"Tout ce qui peut être l’objet du désir humain peut (doit) devenir un produit marchand ". Telle est la devise du libéralisme du début du troisième millénaire. Le bras armé de ce libéralisme est l’entreprise transnationale (ETN) qui recherche en permanence "l’allocation optimale de ses ressources". Au nom de cette recherche, elle déplace ses capitaux d'un marché boursier à un autre en accumulant les profits de ces opérations dans les banques des paradis fiscaux, elle déplace ses ressources de production dans les pays où les lois sociales et fiscales sont les plus avantageuses, c'est-à-dire les moins contraignantes, elle déplace ses ressources humaines en leur proposant des délocalisations inacceptables ou en les jetant à la rue lorsqu'elle ne sait plus qu'en faire au nom de "l'amélioration la productivité". Le discours marketing qu'utilisent ces entreprises cherche à fabriquer une image virtuelle qui leur permette de se cacher aux yeux des citoyens et de s'attirer l'approbation béate du consommateur berné. Ce discours s'articule sur deux idées majeures : le consommateur est roi, le produit est éthique. La royauté du consommateur s'affirme à travers la satisfaction, au moindre coût, de ses moindres désirs, même ceux qu'il ne manifeste pas ! Tel est le discours. Dans la réalité, le consommateur n'a que le droit d'acquérir les produits uniformisés des entreprises transnationales et monopolistiques (ou presque). La diversité des appellations cache mal l’uniformité des produits. Mais asservir le consommateur dans son acte d'achat n'est pas suffisant. Il faut aussi qu'il ne se pose pas trop de questions sur les conditions de fabrication du produit permettant d'abaisser les coûts. Les médias ont trop parlé des enfants esclaves, du travail forcé, pour qu'il ne devienne pas urgent d'endormir les scrupules naissants du consommateur. C'est pourquoi les entreprises ont inventé "le produit éthique". C'est le dernier concept à la mode. Un produit éthique est un produit dont on affirme, sans le prouver, qu'il a été fabriqué en respectant un minimum des droits de l'homme. L'entreprise a d'abord investi la décision et la réflexion du consommateur. Puis elle a annulé pratiquement ses possibilités de choix. Elle s'approprie aujourd'hui sa conscience pour la manipuler. L'éthique est le dernier assaisonnement à la mode des nouilles et le dernier nettoyant des baskets. Dans une société qui n'en a plus, la morale se réfugie dans les condiments. Au-delà de la stupéfaction indignée qu'entraîne l'usage de ce mot dans un tel contexte, il faut s'attarder un instant sur les raisons d'un tel usage abusif. Le monde est coupé en deux, les riches et les pauvres, l'occident et le reste du monde, les esprits satisfaits à l'abri de leur richesse et les inquiets, Davos et Porto Alegre, ces différents découpages se recouvrant parfaitement. Mais les inquiets, les pauvres, les exploités s'énervent, s'organisent et se font entendre. Il faut bien trouver un moyen de les calmer, si possible sans frais. C'est ainsi qu'a germé dans l'esprit d'un manager ou d'un consultant transnational (CTN), l'idée d'associer les mots produit et éthique. Le message marketing que l'on veut faire passer est celui d'une entreprise soucieuse de moralité, sinon de morale, qui rejette toute pratique contraire aux droits de l'homme dans ses processus de fabrication. On tente de faire croire que l'entreprise transnationale est devenue le porte-parole de pratiques morales, excluant l'exploitation des enfants, les conditions de travail déshonorantes, le travail forcé, la dégradation de l'environnement (la publicité actuelle de MacDonald sur son « combat » contre l’obésité est une véritable provocation). Non seulement les pauvres sont pauvres, mais ils sont censés être idiotement crédules. Le marketing, chevau-léger du commerce international, fait preuve d'une imagination sans borne pour essayer de donner du contenu à l'expression d'entreprise citoyenne ! Après tout, les entreprises transnationales ont bien remplacé les mots "impérialisme" et "néo-colonialisme" par l'expression "développement des pays pauvres". On n'est plus à un kidnapping linguistique près.

30 novembre 2005

Le Management moderne

Mon métier de consultant m'a permis de regarder le cœur des entreprises. Il m'a permis d'analyser les changements dans leur fonctionnement. Et ce que j'ai constaté n'est pas de nature à susciter l'optimisme. Jusque dans les années 70, ce que l'on appelle la culture d'entreprise se construisait par le bas, c'est-à-dire que l'état général des esprits se formait petit à petit par les échanges entre les salariés. Les espaces de liberté, aussi restreints étaient-ils, permettaient ces échanges grâce auxquels des idées s'échangeaient et des philosophies du travail dans l'entreprise se constituaient. Aujourd'hui, dans une recherche obsessionnelle de la productivité, contrepartie nécessaire des réductions de personnel et de la recherche du profit, le management d'entreprise a investi ces espaces d'autonomie et les a instrumentalisés pour tourner à son bénéfice les réflexions et échanges entre les salariés. Les espaces de liberté sont ainsi récupérés par le management au nom de la motivation et sont investis par les outils de contrôle. Cette perte d'autonomie rend la position du salarié plus difficile aujourd'hui qu'elle ne l’était dans les années 70-80. Le management se confond avec l'utilisation d'outils qui oublient totalement la dimension humaine. Quant à la culture d'entreprise, le management la remplace par un discours confus, technocratique et changeant en fonction des modes importées par les consultants et des circonstances. La confusion du discours lui sert de prétexte pour noyer le conflit traditionnel patron-salarié. Le management se perd dans un discours guerrier valorisant l'implication permanente du salarié, instrumentalisé par toute une batterie d'outils d'évaluation et de contrôle de l'activité. Cela permet au management de pallier son manque de connaissance profonde du métier, ce qui était l'apanage de l'encadrement jusque dans les années 70 (on pourrait dire la même chose des ministres qui nous gouvernent !). Le formalisme méthodologique a remplacé la compétence professionnelle du cadre. Ce comportement crée une fracture entre le patronat et les salariés beaucoup plus profonde que celle qui existait lorsque les conflits patron-salariés partageaient la même expérience du métier. La gestion des hommes s'est transformée en gestion "des ressources humaines", gestion d'une ressource consommable au même titre que les autres. La "communication", expertise du management actuel, a remplacé le dialogue.

Trois acteurs principaux interviennent dans le fonctionnement de l'entreprise : le manager, le salarié, l'actionnaire. Jusqu'au début des années 90, l'actionnaire n'avait que peu de pouvoirs et sa participation aux conseils d'administration était souvent symbolique. Ceci pour une raison bien simple, c'est que l'actionnaire est souvent, en même temps, le manager d'une autre entreprise et, pour éviter tout conflit dans la gestion de sa propre entreprise, il a tout intérêt à se montrer conciliant au sein du conseil d'administration de son collègue ! Les actionnaires et les managers d'entreprises forment une caste qui cherche à fonctionner de la meilleure façon possible.
Aujourd'hui, un nouvel actionnaire a fait son apparition : le fond de pension anglo-saxon. En effet, dans les pays anglo-saxons, les retraites sont constituées, non par un système par répartition, mais par capitalisation. C'est le salarié qui confie une part de son salaire à un investisseur chargé de faire fructifier cette épargne. Cet investisseur place cet argent en bourse, c'est-à-dire achète des actions ; il devient ainsi actionnaire d'entreprises choisies pour leurs performances. Ce système s'est élargi aux fonds purement spéculatifs. Ce nouveau type d'actionnaire a pris une importance considérable. Le pouvoir des fonds de pension et des fonds spéculatifs se traduit par une nouvelle conception du pouvoir dans l'entreprise : le "gouvernement d'entreprise" (la « corporate governance », pour être à la mode !). Le manager est sous le contrôle des actionnaires et il est demandé à ce dernier de tout faire pour augmenter la valeur de l'action à court terme. Ce faisant, les actionnaires exercent un chantage sur le manager, consistant en la possibilité de vendre la totalité des actions de l'entreprise qu'ils possèdent, provoquant une chute de leur valeur boursière (exemple fameux : le retrait des fonds de pension lorsque Alcatel a annoncé (en 1998) que ses bénéfices ne seraient pas à la hauteur des prévisions : en une journée, l'action Alcatel a perdu 35 % de sa valeur !). Or, pour augmenter la valeur de l'action à court terme, le manager n'a pas beaucoup de solutions : ou bien racheter lui-même ses propres actions pour en diminuer le nombre et augmenter la valeur de celles qui restent en bourse (ce qui est rare est cher !) et, ce faisant, l'argent dépensé à ce type de rachat vient en déduction des investissements productifs ; ou bien réduire les dépenses, c'est-à-dire licencier (c'est pourquoi toutes les fusions s'accompagnent de licenciements massifs, afin d'assurer une augmentation de la valeur des actions). Ce phénomène de prise de pouvoir par les fonds spéculatifs a été facilité par la mondialisation du marché des capitaux et leur libre circulation (sans aucun contrôle). Un petit nombre d'investisseurs institutionnels détient aujourd'hui une part croissante du capital des entreprises (50 % en France au début de ce siècle). La France est l'un des pays où la progression des investissements étrangers, spécialement des fonds de pensions américains, a été la plus rapide en profitant des opérations de privatisation. Ces investisseurs imposent peu à peu leurs règles de management des entreprises, règles dans lesquelles les collaborateurs ont peu de poids et peu de place. Le slogan de la démocratie moderne est : Liberté, Egalité, Fraternité ! Liberté de détruire, Egalité dans la précarité, Fraternité du profit …

Le vocabulaire commun remplace souvent le mot de salarié par celui de collaborateur. Doit-on y voir une volonté de rapprochement des intérêts ou, plus vraisemblablement, de démagogie dirigée vers le salarié ? Le mot collaborateur veut dire "qui partage le même travail" (cum-labor). La stricte acception du mot ne s'applique donc qu'entre des acteurs effectuant les mêmes tâches ou participant à un même travail, c'est-à-dire coopérant pour l'atteinte d'un même objectif. Or, le travail du manager n'est pas celui du subordonné. Le manager n'effectue que des tâches fonctionnelles de gestion, le collaborateur effectue des tâches de nature opérationnelle. L'expression "petit chef" montre bien que le travailleur ne considère pas son supérieur hiérarchique comme partageant un même destin. Le fait que le travailleur attende, comme reconnaissance de son travail, le versement, par le manager, d'un salaire crée une dépendance matérielle qui exclue, le plus souvent, toute possibilité de coopération. Aujourd'hui comme toujours, le manager évalue la contrepartie en travail qu'il attend du salarié pour le versement d'une certaine quantité d'argent. Le travailleur accomplit ce travail et reçoit un dû. Ce type d'échange est de nature purement contractuelle. La collaboration n'est que le strict respect des termes du contrat. La tendance actuelle du manager est de proposer un contrat qui le lie le moins possible, d’où la prolifération des contrats à durée déterminée et à temps partiel, rendant ainsi plus précaire la situation du salarié.
Mais enfin, il faut bien trouver du boulot…

28 novembre 2005

La Mondialisation

Le discours politique est un hymne à l'économie de marché qui nous est présentée comme la garantie du bonheur. Et c'est au nom de l'économie de marché que l'on assiste à de multiples fusions, acquisitions, regroupements, mises en commun d'activités. Cela pose la question suivante : à chaque fusion de deux entreprises, se produit nécessairement la disparition d'un concurrent. Ce qui va à l'encontre de la loi fondamentale de l'économie de marché, la concurrence parfaite qui sous-tend la loi de l'offre et de la demande. En fait, la loi du marché devient la loi de l'offre seule qui s'impose à un marché indifférencié et sans défense. La demande n'a plus d'influence, le consommateur est sommé de se nourrir chez MacDonald, d'acheter ses meubles chez Ikea, de regarder des films américains de série B. La force de vente est devenue bien supérieure à la force d'achat des consommateurs : 90 % des produits vendus dans la grande distribution en France proviennent de 5 centrales d'achats seulement. Ces centrales des enseignes de la grande distribution imposent pratiquement le prix qu'elles veulent aux fournisseurs. Les économistes justifient ces fusions en arguant de la loi de la maximisation du profit (imposée par les actionnaires) par les coûts marginaux décroissants. Ils oublient de parler de l'économie d'échelle qui permet de produire davantage avec moins de ressources, c'est-à-dire moins d'hommes. Ce qui explique plus justement ces licenciements de masse qui accompagnent toutes les fusions d'entreprises, comme au plus fort de la crise des années quatre-vingt.

Les adversaires de la mondialisation des multinationales, dont on ne voit encore que les prémices, disent qu'elle met l'homme au service de l'économie et non l'économie au service de l'homme. Au-delà du slogan, c'est une formule qui demande une explication.

Préliminaire : l'organisation du monde doit tendre à rendre l'homme (tous les hommes) plus heureux. Si l'on n'est pas d'accord avec cela, inutile d'aller plus loin et tout se justifie, même l' insupportable. Si ce principe est admis, alors :
- aujourd'hui, il est visible que le vrai pouvoir est de moins en moins dans les mains des hommes politiques et des gouvernements et qu'il appartient de plus en plus à quelques milliers de financiers et de spéculateurs. Ce sont eux qui imposent les PDG, les fusions, les réorganisations au service de la valeur de
l' action. Ils réorganisent les entreprises par fusions et reventes successives. A titre de boutade on pourrait dire que le risque est qu'il n'existe plus qu'une seule entreprise pour chaque type d'activité économique … et il n'y aura plus de concurrence ! La mondialisation des multinationales rend arbitraire la valeur des actions à partir du moment où la concurrence n'existe plus. Ainsi, quelques milliers de financiers font la véritable loi, mais ne font pas la majorité des hommes. Il n'y a qu'à regarder le comportement des grands laboratoires pharmaceutiques qui se construisent des fortunes avec des molécules extrêmement coûteuses (donc vendues très chères) et qui refusent de s'engager dans des recherches qui permettraient de découvrir des molécules beaucoup moins onéreuses et donc accessibles aux malades du tiers-monde. Ou encore qui refusent d'engager des recherches dans les domaines où … il n'y a pas assez de malades ! Rien ne peut garantir – et j'aurais tendance à penser le contraire – que les décisions de ces capitalistes de l'extrême soient dictées par la recherche du bonheur du plus grand nombre qui subit, plus qu'il ne demande, les fusions et restructurations. C'est en ce sens qu’on peut dire que l'homme est mis au service de l'économie.

- la mondialisation des multinationales n'est, en fait, qu’une mac-donnaldisation, une cocacolisation, une dysneylandisation. Pourquoi ces entreprises devraient-elles être une référence ? L'histoire a montré abondamment que les sociétés et leurs cultures n'étaient pas éternelles et que d'autres sociétés se bâtissaient sur leurs décombres avec de nouvelles règles. Pourquoi une société où les riches sont toujours plus riches et plus pauvres les démunis serait-elle un parangon de réussite ? La généralisation de cette société conduit à diviser la planète en deux : ceux qui possèdent et ceux qui survivent (mal).

- la mondialisation des multinationales tend à l'uniformité. Celle des économies, celle des comportements, celle des cultures. Peut-être même, à terme, celle des religions et des croyances. A moins que l'uniformisation de ce qui s'échange ne laisse de côté justement ce qui ne s'échange pas, c'est-à-dire les religions, les ethnies, les régionalismes. Les communautés vont ainsi se replier sur des valeurs qui vont devenir conflictuelles car souvent passionnelles. Et la mondialisation va ainsi s'accompagner d'un régionalisme intégriste dangereux. Une alternative est que la mondialisation, envahissant le domaine de la culture et poussée à l'extrême, gomme et efface toute l'histoire des hommes. Or, nier et effacer l'histoire revient, en fait, à nier toute différence entre les nations d'aujourd'hui et, à terme, entre chacun d'entre nous. La seule différence qui existera sera celle persistant entre les nantis et les autres, sans aucune possibilité de correction car cela irait à l' encontre d'une valorisation maximale de la valeur de l'action de la société "monde". Oublier l' Histoire, c'est oublier ses parents, c'est nier le devoir de mémoire, c'est accepter que l'on dise "Hitler, connais pas !".

- la mondialisation des multinationales est celle du droit du marché mondial qui se constitue indépendamment des droits de l'homme. La mondialisation du marché a une vitrine, l'O.M.C. et une armée, les entreprises internationales. Celles-ci, en grande majorité américaines et bientôt chinoises, recherchent, par la délocalisation de leurs productions, les états où la réglementation sociale leur est la plus favorable, c'est-à-dire où elle est le plus en décalage avec les droits de l'homme. C'est ainsi que, grâce au travail – à l'esclavage – des enfants, il leur est possible de fabriquer des boissons, des vêtements et des chaussures de sport à des coûts de fabrication les plus bas possible, ce qui garantit l'importance de leurs profits et donc des dividendes à verser aux actionnaires, véritables maîtres du jeu, que sont les investisseurs institutionnels comme les fonds de pension anglo-saxons.

- la mondialisation des multinationales n'empêchera pas les guerres qui deviendront des guerres de religion, seule possibilité restante, dont l'histoire, justement, a montré – et montre encore aujourd'hui – combien elles peuvent être meurtrières et résistantes aux interventions des gouvernements. Pourquoi en serait-il autrement avec un gouvernement "mondial" ? Rien n'est moins sûr. D'autant que la mondialisation pourrait entraîner celle de ces guerres religieuses. Peut-on concevoir ce qu'auraient été les croisades à l'échelle mondiale et l'hécatombe qu'elles auraient provoquée au nom de Dieu? Imagine-t-on ce que serait une guerre islamique organisée, au nom d'Allah, à l'échelle mondiale ?
Mais, l'immoralité ne s'arrête pas là. Novartis, Mosento, Unilever, sont les grands pirates du XXIème siècle. Qui pourra certifier que les cultures resteront biologiques alors que les spores et les graines génétiquement modifiées peuvent voyager sur de grandes distances ? Aujourd'hui, nous servons de cobayes inconscients parce que non informés, ignorants que nous sommes de savoir si ce que nous mangeons a été manipulé. De même, comment fera-t-on lorsque les multinationales de la santé cesseront de fabriquer un médicament parce que jugé non rentable et condamnant à mort un grand nombre de malades ? Le ministère de la santé en France, estime que 2% seulement des médicaments mis sur le marché sont réellement utiles, les autres ne sont que des opérations commerciales. Comment sera-t-on certain que les multinationales de l'agroalimentaire n'utiliseront pas le gène "terminator" qui, implanté dans le génome des plantes transgéniques, rend les graines stériles obligeant les agriculteurs à racheter chaque année leurs semences auprès de ces entreprises, détruisant d'un coup ce qui fait le cœur du métier d'agriculteur, semer avec les semences de sa propre culture ?

25 novembre 2005

Langue de bois

Une des grandes déclarations du dernier congrès du Parti Socialiste, destinée à affirmer sa coloration de gauche, est la « renationalisation » d’EDF !
Or, cela veut dire : racheter les actions de 5 millions de petits porteurs, entre autres.
Alors, de deux choses l’une : ou bien la valeur de l’action en 2007/2008 est inférieure à 32 € (prix d’achat de l’action en 2005) et 5 millions de Français auront l’impression de se faire voler par l’Etat. Ou bien la valeur de l’action est supérieure aux 32 € et l’on ne peut croire un seul instant que l’Etat, en faillite de trésorerie, trouvera prioritaire de faire cette mauvaise affaire économique ! La conclusion s’impose : ce discours est un parfait exemple de langue de bois…

23 novembre 2005

histoire d'un rat

Histoire du rat – 23 Novembre 2005

Le cerveau humain possède trois étages. Le premier étage, le cerveau reptilien, est le siège des besoins primaires, comme manger pour vivre, se reproduire, fuir ou se battre. Seul, il fonctionne de façon purement instinctive. Le second étage, le cerveau mammalien, est le siège de la mémoire. C'est le cerveau des mammifères. Il permet de conserver l'histoire des expériences et de guider ainsi les fonctions du cerveau reptilien. Enfin, le troisième étage est le cortex. C'est l'apanage de l'homme. Il permet de faire des associations, il guide l'intuition, il organise les processus du comportement.

Il serait faux de croire que nous ne fonctionnons que grâce à ce troisième étage. Ecoutez cette expérience instructive du professeur Laborit.

Première partie : prenez un rat, blanc de préférence. En fait, la couleur a peu d'importance, mais les rats blancs sont moins répugnants à manipuler. Mettez-le dans une cage à deux compartiments, séparés par une cloison comportant une ouverture. Le sol de la cage est fait de lattes métalliques, de sorte qu'il vous est possible d'envoyer un courant électrique dans le plancher d'un compartiment ou de l'autre et que le rat ressentira.
Faites retentir une sonnerie avant de faire passer le courant. Recevant le choc électrique, le rat s'agite et finit par passer de l'autre coté de la cloison. Son cerveau reptilien réagit à la punition et à la douleur par la fuite. Recommencez l'expérience autant de fois que nécessaire et ne vous laissez pas attendrir pas les pleurs du rat qui ne sont que des larmes de crocodile. Au bout d'un certain nombre d'expériences, le rat finit par comprendre qu'il faut passer de l'autre coté de la cloison au moment où il entend la sonnerie, avant de recevoir la décharge. Si vous faites l'expérience en respectant un rythme constant, vous verrez bientôt le rat changer de côté juste avant la sonnerie. C'est son cerveau mammalien qui guide son comportement. De plus, le rat reste en parfaite santé physique et morale, si tant est qu'on puisse parler de moralité du rat.

Deuxième partie : fermez l'ouverture entre les deux cotés de la boîte. Le rat ne peut plus s'enfuir comme un lâche pour éviter la punition du courant électrique. Il ne peut rien faire, il doit subir. Vous allez le voir entrer peu à peu dans un état léthargique, dû à une inhibition totale. Il reste prostré comme un con. Et puis, il va tomber malade. Son poil ternit, il va faire de l'hypertension, un ulcère à l'estomac, de la neurasthénie ; tout ce que son organisme peut faire contre lui-même.

Troisième partie : recommencez l'expérience avec deux rats en bonne santé et fermez l'ouverture entre les deux parties de la boîte. Les deux rats subissent les chocs électriques. Mais, au lieu de rester prostrés, comme ils ont un congénère sous la patte, ils vont se battre comme des chiffonniers. Et alors, direz-vous ? Et bien, le fait de pouvoir décharger leur hargne de ne pouvoir se défendre contre l'électrocution, de pouvoir répondre aux sollicitations du cerveau reptilien, va les conserver en parfaite santé ! Pas d'hypertension ni de neurasthénie. La forme, quoi !

Qu'en conclure, vous demanderez-vous ? Remplacez les rats par les humains, qui ne sont pas nécessairement blancs, et vous comprendrez pourquoi un homme agressé, qui n'a pas la possibilité de fuir, cherche d'abord à se retourner contre un semblable en répondant à l'agression par une autre, en répondant à une attaque par la guerre. C'est son cerveau reptilien qui le pousse à agir de la sorte. Et vous comprendrez aussi pourquoi il développe des maladies psychosomatiques, de l'hypertension, des ulcères à l'estomac, des coliques néphrétiques, si les règles de la société, imprimées dans son cerveau tout au long de sa vie, lui interdisent toute action violente envers un congénère !!! Il est comme le rat dans sa cage sans possibilité de fuite. L'homme possède, par malheur, ce cerveau supplémentaire, le cortex que ne possède pas (ou si peu) le rat. C'est là que s'incrustent, dès le premier jour et peut-être même avant, les influences externes qui vont façonner les liaisons nerveuses et créer les interdits qui vont fermer la porte de la cloison. Le cortex va créer lui-même les conditions qui vont interdire au cerveau reptilien d'imposer ses décisions.

Le choix est simple : la guerre ou le suicide, telle est la question. L'homme est fait comme un rat.

21 novembre 2005

Les Services Publics

Aujourd’hui, je voudrais réfléchir sur le concept de grève. Je ne parle pas d’une étendue de sable, en général au bord de l’eau, mais de l’interruption « volontaire » du travail par les salariés. Et je vais me concentrer sur les grèves organisées par les syndicats. Déjà, cela restreint la réflexion aux seules grèves de fonctionnaires, car il est bien connu que les syndicats français ne représentent qu’une minorité de fonctionnaires. C’est d’ailleurs pourquoi, lorsqu’une grève dite nationale est lancée par un ou plusieurs syndicats, les représentants syndicaux font des efforts désespérés pour faire croire que le secteur privé est partie prenante, ce qui est faux, bien entendu.
Avez-vous remarqué le mot d’ordre à la mode : la défense du service public ? Mais qu’est-ce qu’un service public ? C’est un service rendu AU public. Et le meilleur service que l’on puisse rendre au public est de ne pas le priver du service en question. Ainsi, une grève au nom de la défense du Service Public est un parfait contresens.
Il faut savoir qu’à l’origine un service public était DÊLÊGUÊ à une entreprise qui recevait de l’Etat un dédommagement en contrepartie des contraintes imposées par la mission confiée. Ce dédommagement et la délégation de service public sont assujettis au respect du cahier des charges. Ce n’est que depuis 1945 que Service Public veut dire Entreprise publique + statut particulier des salariés de cette entreprise (statut de fonctionnaire ou assimilé). Aujourd’hui, les syndicats, au nom de la défense du service public, ne cherchent qu’à protéger le statut des fonctionnaires avec les privilèges considérables qui y sont attachés (garantie de l’emploi, montant des retraites atteignant pratiquement 100% du dernier salaire pour certains d’entre eux, age de la retraite avancé, etc…) Le CCAS - comité d’entreprise de l’EDF aux mains de la CGT - possède une richesse considérable qui permet de distribuer de très nombreux avantages aux salariés).
C’est la raison pour laquelle on voit se multiplier des grèves sans enjeux opérationnels comme les grèves à la RTM (Marseille, ville où la majorité des salariés sont fonctionnaires ou assimilés, détient le record national du nombre annuel de grèves), à la SNCF, à la RATP, à La Poste, etc…Dans les mots d’ordre de ces dernières grèves, ont été rajoutées en catastrophe des revendications secondaires à caractère professionnels pour camoufler le vrai caractère politique et corporatiste. Lorsque vous entendez crier le mot d’ordre « sauvez les services publics », il faut entendre « sauvez nos privilèges de garantie de l’emploi et de retraite ». On se demande d’ailleurs quel peut être l’accord recherché par les syndicats qui mettrait fin à la grève, puisqu’un engagement écrit du gouvernement est jugé insuffisant !
Les syndicats de la SNCF présente le projet de réorganisation par activités comme une menace de privatisation. En fait, il s’agit uniquement de mettre en place une organisation qui permette de mesurer l’efficacité de l’entreprise dans chacun de ses métiers. Outre le fait qu’il s’agit là du B-A-BA du management, il n’est pas difficile de comprendre que c’est justement ce contrôle de l’efficacité que craignent les syndicats. Il est certain que l’on se sent plus à l’aise dans un grand foutoir organisationnel où il est impossible d’identifier les gabegies !
Je voudrais faire remarquer que la dénonciation de la « privatisation » de l’EDF s’est accompagnée d’une souscription d’actions par environ 5 millions de particuliers dont les 2/3 du personnel de l’EDF ! Qui a peur de la privatisation ? Qui confond (ou fait semblant de confondre) augmentation de capital et privatisation ?
Il faut également s’interroger sur le fait que la CGT a refusé de signer l’accord sur la dernière augmentation de salaire et réclame aujourd’hui une augmentation du pouvoir d’achat. Les prochaines échéances électorales syndicales ne seraient-elles pas pour quelque chose dans les derniers mouvements de grève ?
On confond sous le vocable de service public des entreprises industrielles comme EDF et des services régaliens comme la police, la justice, l’éducation, la sécurité sociale ‡ tout service que l’usager paie autrement que par l’impôt devrait être soumis à la concurrence. C’est la seule façon d’obtenir une réelle efficacité au moindre coût … et le pays n’a plus d’argent.

20 novembre 2005

Incertitude

L'incertitude -
J'ai acquis, au cours de mes études, des certitudes qui se sont évaporées avec le temps. Je veux dire que les vérités d'antan sont devenues aujourd'hui des approximations grossières, voire des erreurs. J'ai appris, par exemple, (on m'a enseigné) que le monde était constitué d'atomes, eux-mêmes fabriqués comme des systèmes solaires en miniature, les électrons tournant sagement en orbite autour de leur noyau-soleil. Cette vision du monde est fausse, on le sait maintenant. Nous sommes imprégnés de ce que nous savons, et ce savoir devient la référence à partir de laquelle nous cherchons à expliquer ce que nous ne comprenons pas encore. Il n'est donc pas étonnant que l'image du monde macroscopique se soit imposé pour décrire le fonctionnement du monde microscopique. De la même manière, j'ai appris, pendant l'exercice de mon métier, que le fonctionnement des systèmes ne s'expliquait que par les échanges entre ses composants et entre le système et l'environnement dans lequel il est plongé. Là encore, il s'agit d'une généralisation du connu. Une machine à vapeur fonctionne par l'échange de chaleur entre le feu et l'eau, mais surtout parce qu'elle reçoit de son environnement le charbon nécessaire au foyer. Elle restitue à cet environnement le travail qui permet à l'engin de se déplacer. Il en est de même pour un programme informatique qui fonctionne grâce aux échanges de valeurs entre les variables et, surtout, grâce aux données qu'il reçoit de son environnement et des résultats qu'il lui restitue. Cette vision devait permettre d'expliquer le monde. Ainsi, le système social fonctionne par les échanges monétaires avec le système marchand, lequel, en contrepartie, fournit des échanges de produits. De même, le système social reçoit du système de production des flux monétaires en contrepartie du travail. Le système de production, quant à lui, fournit des flux de produits au système commercial en échange de flux monétaires. Ces trois systèmes forment un système économique national bouclé. Cependant, ce dernier ne peut fonctionner que s'il existe des échanges avec un environnement plus vaste, constitué des autres systèmes économiques internationaux.

Mais identifier les échanges entre un système et son environnement veut dire que l'on est capable de prendre un point de vue extérieur au système. Il faut, en quelque sorte, le regarder du dehors. C'est grâce à ce point de vue que l'on est capable de décrire ces échanges externes et, donc, de comprendre le "pourquoi" du système, sa raison d'être, sa finalité. Il faut sortir du cadre. Ainsi, la finalité de la machine à vapeur est de transformer le charbon en travail (en déplacement), c'est ce que l'on peut constater en regardant, du bord du quai, la machine se déplacer. De même, la finalité du programme est de transformer les données d'entrée en résultats finaux. De l'intérieur du système, on ne distingue que les échanges entre les composants internes du système, sans en comprendre la finalité ultime. À l'intérieur de la chaudière de la machine, on voit l'eau bouillir et se transformer en vapeur sans comprendre pourquoi. À l'intérieur du programme informatique, on voit les variables s'échanger des valeurs sans comprendre où tout cela mène. Le point de vue extérieur est obligatoire pour comprendre le sens et la finalité d'un système. Or l'Univers est un système qui a une particularité unique : il est impossible de le regarder de l'extérieur puisqu'il est refermé sur lui-même (c'est un système infini qui n'a pas de bords). Tout observateur qui prétendrait regarder l'Univers de l'extérieur ferait nécessairement partie de cet Univers, car il est impossible de se situer dans un environnement inaccessible ou inexistant. Il est ainsi impossible de discerner les échanges entre l'Univers et ce qui serait son environnement. Il est donc également impossible d'en comprendre la finalité. En d'autres termes, si la recherche fondamentale essaie (et y parvient parfois) de trouver une réponse au
"Comment ?", il sera toujours impossible d'apporter une réponse au "Pourquoi" et donc à la question célèbre : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?" Les progrès de la science permettent, et permettront, de comprendre "comment" fonctionne l'Univers en cherchant à comprendre la nature des échanges entre ses composants, mais sa finalité ultime nous sera toujours inaccessible. Il existe ainsi une question qui n'aura jamais de réponse, comme le stipule le théorème de Gödel qui énonce que, dans tout système axiomatique, il existe toujours une proposition indécidable, c'est-à-dire non démontrable à l'intérieur du système considéré (par exemple, dans le corps axiomatique de l'arithmétique, il est impossible de démontrer que tout nombre pair est la somme de deux nombres premiers tels 8 = 5+3 ou 26 = 13+13 ou encore 124 = 11 +113).

S'il est impossible de comprendre la finalité d'un système, il est, par conséquent, impossible de comprendre le rôle de ses composants dans le grand jeu du système. Si je ne comprends pas pourquoi un programme informatique existe, je ne comprends pas plus à quoi servent ses différents sous-programmes. Si je ne peux pas comprendre la finalité de l'Univers, je suis incapable de discerner les finalités de ses composants. Et nous faisons partie de ces composants…Le sens de l'existence des hommes échappera toujours à leur interrogation.

L'Univers est la globalisation de tous les systèmes, de toutes choses. Sa globalisation interdit le point de vue extérieur. La mondialisation commerciale est, également, une globalisation de tous les systèmes commerciaux. Cette globalisation interdira tout point de vue (commercial) externe. Ceci conduira, inévitablement, à faire perdre toute signification et toute finalité au commerce mondial. Ce qui ouvre la porte à tous les arbitraires, car lorsque le sens se perd, la morale se perd également. Elle perd aussi sa finalité.