Je me lève sans allumer la lumière et me dirige grâce à la faible lueur de la rue qui entre chez moi. L’électricité est devenue beaucoup trop chère pour ne pas chercher tous les moyens de s’en passer. Je passe au cabinet de toilette où j’ai, depuis longtemps, remplacé mon rasoir électrique par un rasoir mécanique, pour la même raison. Je n’utilise plus de lotions et mon savon est un gros cube de savon de Marseille qui me sert également pour me laver les dents. Le goût est repoussant, mais il n’y a pas le choix car les dentifrices synthétiques sont interdits.
Pour déjeuner, un jus de fruit et un café en poudre avec de l’eau chauffée au gaz. En avalant mon café, j’écoute les informations. Les conflits, nés de la raréfaction de l’eau en Afrique, au Moyen-Orient, dans les Balkans, en Amérique du Sud, s’amplifient et accentuent les mouvements de population. Le prix du pétrole atteint un nouveau sommet à 250 € le baril de brent. Une manifestation monstre, rassemblant 300.000 personnes excédées, a eu lieu à Toulouse pour la défense des retraites et des salaires et qui s’est terminée par des heurts violents avec la police ; on dénombre 6 morts et plusieurs dizaines de blessés. En Indonésie, un ouragan a dévasté l’île de Java en faisant 5.000 morts. Le dernier ours blanc est mort. La sécheresse, qui sévit dans le midi de la France, s’accentue et décime le bétail. On envisage de créer des élevages de dromadaires pour en faire des animaux de bât et, pourquoi pas, des animaux de boucherie. Je ne peux m’empêcher de faire la grimace. Heureusement que j’ai déménagé, il y a 10 ans maintenant, pour m’installer à Boulogne-sur-mer à cause de la montée du niveau de la mer sur les rivages du Sud-Ouest ! Les prix du logement ont tellement augmenté que je ne pourrais plus le faire aujourd’hui. Bref, les nouvelles ne sont pas plus mauvaises aujourd’hui qu’hier.
Je quitte mon domicile, où les ascenseurs ne fonctionnent plus pour cause d’économies d’énergie et où les appartements du rez-de-chaussée sont réservés par la loi aux handicapés, et je me rends à l’arrêt du bus. Je n’attends pas trop longtemps, car les bus, fonctionnant au biocarburant, ont été multipliés pour compenser l’interdiction de l’utilisation des véhicules particuliers. Mais ils sont toujours bondés et l’inconfort du transport est pénible mais sans alternative. Nous sommes en Février. La température est clémente, mais le vent est violent. Espérons que cela ne va pas se transformer en tempête comme la semaine dernière. Les dégâts ont été importants et de nombreux palmiers des Champs-Élysées ont été déracinés.
En arrivant au bureau, je décline mon identité comme d’habitude par une reconnaissance d’empreintes digitales. L’insécurité ayant fortement progressé, des mesures ont été prises dans tous les établissements et les bureaux pour éviter l’intrusion d’inconnus. Je m’installe à la table qui m’a été réservée pour aujourd’hui et je branche mon ordinateur afin d’accéder à mes dossiers, le papier étant devenu une denrée rare à cause de la raréfaction des forêts. Depuis deux ans, la climatisation a été arrêtée, sauf pour le local des ordinateurs, pour être remplacée par une simple ventilation. Lorsque la température extérieure est importante, cette ventilation crée plus de désagrément que de confort. Je passe une grande partie de la matinée à envoyer des relances de paiement à des clients qui tardent à honorer leurs dettes, situation courante dans une économie qui s’essouffle. Je me connecte par Internet au siège social de la société qui est délocalisé depuis cinq ans maintenant à Shanghai. Je télécharge les éléments de formation continue que je dois acquérir pendant la semaine. La société à laquelle j’appartiens conçoit et vend des contrats d’assurance. Aujourd’hui tout le monde s’assure sur tout ce qu’il veut : chômage, santé, retraite, durabilité et dysfonctionnement des équipements, vieillesse, voyages, loisirs, vol, incendie, don d’organes, etc…Les compagnies d’assurances sont devenues des entreprises multinationales parmi les plus importantes. La formation que je dois assimiler consiste à comprendre le contenu et les processus de vente des nouveaux contrats d’assurance fréquemment proposés sur le marché. À midi, je déjeune au restaurant d’entreprise. Le choix est limité. Un certain nombre de plats ont disparu : le poisson, trop rare et trop cher, les frites qui consomment trop d’énergie pour leur cuisson, certains fruits comme les fruits rouges qui supportent mal les dérèglements climatiques, les fromages de pâte cuite, les préparations à base de maïs parce que trop consommateur d’eau, etc … Je me contente d’un plat de purée avec jambon. L’après-midi, je dois passer une visite médicale du travail, car l’Etat surveille de près l’extension de maladies anciennes qui ont fait leur réapparition depuis une dizaine d’années, comme la malaria et le paludisme. Le travail s’arrête à 17 heures en hiver et à 20 heures en été pour éviter d’avoir à utiliser la lumière électrique dans les immeubles de bureaux et les usines. Ce soir, je pars donc de bonne heure et je reprends un autobus bondé pour retourner chez moi. En arrivant, il faut que je fasse ma déclaration d’impôts. L’impôt sur le revenu a fortement diminué, non seulement parce que je gagne moins qu’il y a quelques années, mais surtout parce que l’impôt lui-même a globalement diminué. Par contre les taxes sur l’eau, l’électricité, l’enlèvement des ordures, le gaz, les carburants, ont augmenté considérablement, tellement que le total de mes impôts ne cesse d’augmenter, même si mes revenus stagnent. Je suis obligé d’économiser sur les loisirs et les vacances pour m’en sortir. Les prélèvements sociaux ont également augmenté pour faire face à la recrudescence des maladies dites « tropicales » apportées par des insectes qui se multiplient à cause du réchauffement du climat sur toute la planète et à cause du vieillissement important de la population.
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