Henri Bergson disait que le rire est le propre de l’homme. Cette faculté d’extérioriser la joie serait ce qui nous différencie des autres êtres vivants, spécialement des animaux. Est-ce bien certain ? Ce qui rend le rire humain perceptible est la juxtaposition d’une expression du visage associée à un son particulier. Encore que ce dernier point n’est pas juste : les muets ou les opérés de la gorge ne seraient-ils plus capables de rire ? Et, dans ce cas, selon Bergson, ne seraient-ils plus des humains ? L’aspect sonore du rire n’est donc pas un critère d’humanité. Reste l’expression. Mais certains grands singes sont tout aussi capables que nous d’afficher une expression visuelle démontrant le contentement. Sommes-nous des singes ou sont-ils des hommes ? Et que sait-on de la signification des trilles des oiseaux ou du feulement des félidés ? Rien qui nous permette de dire qu’il ne s’agit pas d’un rire animal. Le rire n’est donc pas le propre de l’homme. Alors, où chercher la différence ? La conscience de soi ? Des expériences ont montré que les grands singes et les dauphins savaient très bien se reconnaître dans un miroir. La mémoire n’est pas, non plus, une spécificité humaine. Les éléphants sont reconnus pour posséder une mémoire performante qui les pousse à montrer une attitude vindicative envers ceux qui les ont agressés dans le passé. Ils sont susceptibles de présenter, comme les humains, les symptômes du stress post-traumatique, signe qu’ils gardent en mémoire la trace d’évènements violents antérieurs. Bien entendu, la capacité meurtrière n’est pas l’apanage du genre humain. Le lion qui tue les lionceaux qui ne sont pas de lui en est la preuve, s’il en fallait une. La guerre, alors ? C’est-à-dire le meurtre en groupe ? La chasse organisée par les lionnes ou par la meute de loups nous montre un exemple de meurtre organisé en groupe. Faut-il alors rechercher la différence dans l’existence de sentiments plus intimes ? La tristesse, le désir, la vanité, la cupidité, l’esprit de vengeance, le chagrin ou la tristesse ? La dépression du vieux lion chassé de sa parentèle ou du singe dominant ayant perdu son statut nous montre l’exemple d’animaux frappés d’une grande tristesse qui peut les amener à se laisser mourir. Les larmes du crocodile sont célèbres. La parade anacréontique des oiseaux de paradis est un bel exemple de vanité et l’écureuil qui amasse et cache sa nourriture jusqu’à l’oublier ne nous montre-t-il pas un exemple de cupidité ? Quant à l’esprit de vengeance, les éléphants nous ont déjà montré qu’il existait dans le monde animal. N’a-t-on pas vu les éléphants chassés et blessés par les Massaïs se venger sur leurs troupeaux de bovins ? Lorsqu’un éléphant se trouve en face des dépouilles d’un membre de son groupe, ne le voit-on pas montrer les signes d’une évidente tristesse et d’une sorte de culte des morts ? L’esprit parental et la capacité d’éduquer sont manifestes dans le monde animal et ne sont donc pas non plus caractéristiques du genre humain. L’esprit de groupe, dont se vantent bien des hommes, existe manifestement dans le monde animal, chez les fourmis, les termites, les singes, les suricates, les loups ou les lémuriens. Alors, que reste-t-il ? Le rêve ? Il existe manifestement chez le chien ou l’éléphant et l’on ne sait rien des autres. La capacité d’avoir un projet immédiat ? La transhumance africaine des gnous, la longue marche des manchots empereurs, le vol d’un pôle à l’autre des sternes, la préparation de l’hibernation chez l’ours ou la marmotte sont des exemples de projets guidant le comportement vers un objectif précis. Bien entendu, il est facile de dire que la pensée est intrinsèque au genre humain. Mais cette fausse certitude ne s’appuie que sur notre totale ignorance de ce qui se passe dans le cerveau animal, bien que tous les exemples cités plus haut laissent fortement soupçonner l’existence d’une pensée.
Il reste la conscience du temps, c’est-à-dire la capacité de se poser des questions du genre : que ferai-je demain (la prévision), pourquoi ai-je fait cela hier (le regret, le remords) ?
Il reste aussi le mensonge, la dissimulation et l’hypocrisie. Pour faire bonne mesure, j’ajouterai que l’homme se caractérise aussi par sa capacité à torturer.
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