22 décembre 2013

Qui sommes nous ?

Il y a indéniablement, chez les hommes, une forte propension à étouffer, sous l’édredon de la honte, les souvenirs infamants. La reconnaissance de la collaboration de masse, active ou passive, durant la seconde guerre mondiale en France a été extrêmement longue à émerger et être reconnue. Les Présidents de la République successifs ont, eux-mêmes, fortement participé à cette reconstruction de l’histoire. De de Gaulle à Mitterrand, ils ont tous cherché à gommer cette sombre page de l’histoire nationale en arguant d’une fallacieuse distinction entre « l’Etat Français » de Vichy et la République Française assimilée à la France. Comment, en effet, préserver ou reconstruire la grandeur nationale et l’honneur de la Nation sur les exactions de la collaboration ? Une vraie sidération vous saisit lorsque l’on met en vis-à-vis ces énormes foules allemandes saluant avec hystérie Adolf Hitler, un fou meurtrier, lors de ses folles harangues et les foules françaises acclamant à grands cris Philippe Pétain, un dictateur sénile, lors de sa tournée nationale en 1940 après la honteuse entrevue de Montoire ? Quelle différence entre les bras tendus allemands devant Hitler et les drapeaux français frénétiquement agités devant Pétain ? Quelle est cette France qui tente de façon ridicule d’imiter les monstrueuses démonstrations de force des nazis, en faisant parader ses miliciens et une LVF qui intégrera finalement les Waffen-SS ? En France comme en Allemagne, on reste confondu devant cette propension des foules à acclamer les dictateurs. La foule est l’ennemie du peuple disait V. Hugo. Comment, au nom de quelques policiers ayant pris les armes aux dernières heures de l’occupation, peut-on oublier que la police de Vichy a raflé 4000 enfants juifs de trois ans, hurlant de peur, en les arrachant à leurs mères pour les enfermer au Vel d’Hiv avant leur transfert dans les camps d’extermination ? Comment peut-on oublier que les lois scélérates anti-juives ont été décrétées par la France sans que l’Allemagne ne demande rien ? Et que seule une minorité de français a combattu ces lois infamantes ? Comment comprendre qu’il existe encore aujourd’hui des individus qui recherchent ouvertement la réhabilitation de Pétain et vont se recueillir sur sa tombe à l’ile d’Yeu ? Les zones d’ombre de la libération sont également nombreuses, avec ses exécutions sommaires, ses lynchages et son rituel barbare de la tonte des femmes massivement approuvés par les résistants de la dernière heure. « Nous ne savions pas » ont dit les allemands, « nous avons cru au sabre et au bouclier » ont dit les français. L’horreur reste l’horreur et le quantitatif n’a pas sa place dans le jugement. Certes, la Résistance a existé et a lourdement payé son engagement contre l’occupant. Il n’en reste pas moins que le gros du contingent de ces résistants a rejoint le combat aux dernières heures de l’occupation, lorsqu’il était devenu évident que les nazis avaient perdu la guerre. La conscience pure nait d’une mauvaise mémoire.

15 décembre 2013

L’opium des peuples

De même qu’un enfant s’angoisse de ne pas comprendre les raisons de la colère de sa mère, l’inconnu et l’incompréhension ont, de tous temps, été des facteurs d’inquiétude pour les hommes. L’incompréhension des mécanismes de la nature les a poussé à peupler le monde d’un Panthéon riche et varié, chacun des dieux peuplant ce lieu mythique étant responsable d’un phénomène inexplicable. Expliquer que la foudre est la colère de Zeus apaise un esprit inquiet de ne pas comprendre. Parmi ces peurs ancestrales, la plus prégnante a toujours été la mort. « Pour les hommes c’est le temps qui passe. Pour le temps, ce sont les hommes qui passent ». Ce proverbe chinois dessine, à gros traits, l’angoisse de l’homme en face de la mort et son interrogation sur « l’après ». En quête d’une réponse, l’homme a trouvé, dans les religions de tous bords et de toutes inspirations, un moyen d’affronter cette peur. Toutes les religions sont faites pour le rassurer. Ce seul fait explique la pérennité des croyances, sous des formes extrêmement diverses, mais dont la constante est d’apporter une réponse à la peur du temps qui passe. Les chrétiens et les musulmans ont inventé la vie éternelle. Le soufisme des derviches tourneurs imagine une succession sans fin de morts et de renaissances. Le bouddhisme du Grand et du Petit Véhicule invente les incarnations répétées dans la recherche du Nirvana et la transformation progressive en Buddha ayant atteint un état d’apaisement éternel. D’une inspiration voisine, l’hindouisme propose des périodes de création, de conservation et de destruction se succédant sans fin. La Gnose considère que l’incarnation dans la matière est un piège tendu par un esprit malfaisant dont on ne peut s’échapper que par la connaissance initiatique qui permet à l’âme immortelle de se libérer de ce piège en rejoignant le divin. Toutes ces religions, en fin de compte, nient la mort et la disparition définitive, quitte à ignorer une des grandes lois de la nature, celle de l’Entropie. Nous vivons une période matérialiste où la recherche de l’explication rationnelle est devenue une nécessité. Les neurosciences du cerveau étudient actuellement l’éventuelle corrélation entre la constitution de la molécule ADN (le gène VMAT2) et l’apparition des émotions. Les croyances seraient-elles imposées par la biologie cérébrale ? Une étude statistique anglo-saxonne tend à montrer que la croyance s’accompagne d’un mal-être, comme si les gens prédisposés à la dépression se tournaient vers la religion, ce qui expliquerait pourquoi les religions cherchent à tout prix à rassurer les hommes sur leur devenir post-mortem dans un souci marketing assumé. Dans cette volonté de supprimer l’angoisse de la mort, les religions se comportent comme une drogue addictive. N’oublions pas que « les faits ne pénètrent pas là où règnent les croyances » (P. Valéry).