29 mars 2009

Le bouclier de la discorde

L’antienne la plus entendue venant de l’opposition est l’injustice du bouclier fiscal qui, entend-on dire, favoriserait d’une manière insupportable les plus riches d’entre nous. Mais qui connaît l’ampleur de l’enjeu ? En premier lieu, l’Allemagne a inscrit dans sa constitution un bouclier fiscal à 50% du revenu...et les Allemands ne crient pas au scandale. Ensuite, le principe d’un bouclier fiscal a été élaboré par Laurent Fabius, mis en œuvre par Jacques Chirac et Dominique de Villepin et atteignait alors 60% du revenu. Qui est concerné ? Cette disposition vise essentiellement les contribuables qui possèdent un patrimoine supérieur à 15,5 millions d’Euros, c’est-à-dire 834 personnes ! Comment peut-on croire qu’accroître les impôts payés par 834 personnes peut améliorer la vie des 60 millions de Français ! Soyons encore plus précis. L’enjeu financier représenté par le manque à gagner depuis l’instauration de cette disposition est de 450 millions d’Euros, à comparer aux 1000 milliards d’Euros du total des prélèvements fiscaux payés par l’ensemble des Français ! Sur ce montant global, l’impôt sur le revenu ne représente que 5%, soit 50 milliards d’Euros. Alors, de qui se moque-t-on lorsque l’on porte comme un drapeau de la révolte la suppression du bouclier fiscal ? De qui se moque-t-on lorsque, aveuglée par son rejet viscéral du Président de la République, l’opposition s’enferme dans un débat secondaire, même si la symbolique reste forte et n’est jamais à négliger ? Cet aveuglement lui fait perdre de vue les deux problèmes fondamentaux que sont l’existence des paradis fiscaux et du « dumping » fiscal entre les pays européens. Lorsque l’on entend un banquier suisse expliquer que la protection de la vie privée est prioritaire sur la transparence fiscale, on ne peut s’empêcher de faire le rapprochement avec les intégristes islamistes qui clament que la loi de Dieu prévaut sur la loi des hommes. Lorsque la société même est menacée, il serait judicieux que les politiques de tous bords agissent de conserve. Rêvons un peu !!

28 mars 2009

Perseverare diabolicum

La loi est un ensemble de règles obligatoires établies par l'autorité d'une société, sanctionnée par la force publique et qui organisent les relations entre les hommes de cette société. C’est ainsi que les Tables de la Loi, où sont inscrits les Dix Commandements, organisent les relations entre les Chrétiens. La morale, quant à elle, est un ensemble de principes, de règles de conduite relatives au bien et au mal, de devoirs et de valeurs qu'une société se donne et qui s'imposent autant à la conscience individuelle qu'à la conscience collective. Lorsque l’on compare ces deux définitions, il apparaît que la morale a son existence propre sans que la loi n’ait à intervenir. La loi n’existe donc que lorsque la conscience s’affadit et lorsque la société est sans morale. Ainsi, lorsque des individus profèrent des insultes racistes ou négationnistes, ils piétinent la morale et les valeurs d’un humanisme nécessaire. C’est pourquoi la loi est intervenue pour interdire de tels comportements publics afin qu’une sanction puisse être prise. Lorsque la morale est absente, la loi vient combler le manque. Le microcosme financier a plongé le monde entier dans une crise si profonde que personne aujourd’hui ne sait ni quand ni comment en sortir et qui a déjà fait des millions de victimes. Le système financier est indispensable au fonctionnement de l’économie, donc à la vie de tous.Les responsables des États ont été contraints d’intervenir pour sauver les organismes financiers de la faillite. Ces mêmes organismes sont, en quelque sorte, coupables d’une tentative de meurtre sur le monde économique et d’un comportement amoral. Comme beaucoup de voyous pris « la main dans le sac » et qui nient l’évidence, on voit se multiplier des comportements de managers des organismes financiers qui, contempteurs de la morale, l’insultent en « oubliant » le désastre qu’ils ont provoqué. Les parachutes dorés, les retraites chapeaux, les bonus et les primes, les stock-options continuent de faire flores dans le monde des entreprises sous perfusion publique. L’indignation naît lorsque la morale est ainsi insultée. La loi devient donc nécessaire, même si légiférer dans le fonctionnement des entreprises peut comporter des dangers. L’État doit donc légiférer fortement dans le domaine des rémunérations de toutes sortes des managers des entreprises ayant reçues des aides publiques et laisser à l’impôt la régulation au sein de toutes les autres entreprises, quitte à prendre le risque d’encourager le déplorable et démagogique penchant des Français à vilipender « les patrons ».

25 mars 2009

Hypocrisie ou ignorance ?

Le carnet de commande d’une entreprise est une prévision d’activité pour les mois à venir. Lorsque ce même carnet montre une chute de 20 à 40% de l’activité prévisionnelle, que croyez-vous que le chef d’entreprise doive faire ? Gouverner, dit-on, c’est prévoir. Avec un carnet de commande en chute libre, il est donc du devoir de ce chef d’entreprise d’en prévoir les conséquences. La pire attitude serait de ne rien faire, ce qui conduirait infailliblement l’entreprise à la faillite. La prévision porte donc sur la mise en adéquation de l’outil de production avec le futur carnet de commande. Or le re-dimensionnement de l’outil de production a obligatoirement des répercussions sur les emplois. C’est pourquoi il n’est pas surprenant qu’une entreprise faisant des bénéfices en 2008 mais ayant un carnet de commandes 2009 en forte régression prévoit des licenciements en 2009. Ceux qui s’insurgent contre cela en criant haut et fort qu’une entreprise qui fait des bénéfices n’a pas le droit de licencier montrent tout simplement qu’ils ne connaissent rien à la gestion d’entreprise. Lorsque « ceux-là » sont des hommes politiques ou des syndicalistes, la situation devient grave. Les économistes et les prévisionnistes de tous crins et de tous bords annoncent chaque jour des prévisions de plus en plus pessimistes pour cette année, allant jusqu’à une diminution de 2 à 3% du PIB national, ce qui représente une baisse d’activité annuelle de 45 milliards d’Euros. Comment, dans ces conditions, les chefs d’entreprises ne prévoiraient-ils pas une réduction inéluctable du nombre de leurs salariés ? Qu’ont-ils d’autre comme variable d’ajustement ? Certes, ils pourraient réduire tous les salaires de 5% à 20% selon les secteurs! Qui l’accepterait ? Alors, que les hommes politiques et les syndicalistes cessent de tenir un discours qui ne peut que tromper le peuple et acceptent le fait qu’une entreprise ayant fait des bénéfices en 2008 prévoit des licenciements en 2009. Gouverner c’est prévoir. Les entrepreneurs le font, les politiques devraient le faire ! Encore faut-il que les patrons des grands groupes retrouvent le chemin de la morale et cessent de s’octroyer, par des moyens divers et variés, des émoluments scandaleux qui entretiennent un état d’esprit général défavorable à l’ensemble des entreprises. Et un pays qui n’aime pas ses entreprises prend le chemin de la récession et de la crise sociale.

24 mars 2009

De la hiérarchie des questions

La complexité croissante des organismes terrestres a permis l’avènement de l’homo-sapiens, capable de se poser des questions sur les raisons de son existence. L’ère des idées est née au même instant. L’homme est devenu capable de s’interroger sur n’importe quoi … surtout sur n’importe quoi ! Même de se questionner sur son questionnement, raisonnement par récurrence s’il en est. Dans le droit-fil de ces interrogations par récurrence, la question se pose sur la hiérarchie des questions et, donc, sur les recherches de réponses. Est-il plus important de s’interroger sur l’homme, son habitus, son hubris, sa violence, l’organisation de la société humaine ou sur le monde qui le supporte ? Est-il plus important de comprendre le fonctionnement de la nature humaine ou les lois qui gouvernent l’évolution de l’Univers ? Certes, ces deux questions méritent une certaine attention, mais alors, pourquoi certains esprits sont-ils parfaitement insensibles à l’une ou l’autre de ces deux questions ? Pourquoi certains pensent que rien n’a d’importance ni d’intérêt en dehors de l’étude de l’homme et des rapports sociaux, alors que d’autres sont convaincus que sans la compréhension de l’évolution universelle, toute autre question est superflue ? Est-il plus important de réfléchir à la désespérante insignifiance de l’homme perdu dans un cosmos dont il ne comprend rien ou à l’étonnante vivacité et volonté du petit enfant à prendre la maîtrise de son environnement ? L’importance de l’étonnement sera le même dans les deux cas.

23 mars 2009

Aveuglement

Nous venons d’assister à un événement stupéfiant sans qu’il n’ait reçu l’écho qu’il mérite. En effet, devant l’attitude invraisemblable des dirigeants américains d’AIG – qui s’octroient des bonus monstrueux alors qu’ils sont en partie responsables de la crise mondiale actuelle – les démocrates et les républicains du Congrès ont voté, presque immédiatement et ensemble, une loi confiscatoire de ces primes. Ce qu’il y a de surprenant dans ce fait est, d’une part, qu’une telle loi soit votée en quelques jours dans un pays où le libéralisme capitaliste est une religion et, d’autre part et surtout, que cette loi soit votée par la majorité et l’opposition dans un même mouvement d’indignation civique et pour le bien commun. On rêve de voir enfin, en France, une majorité et une opposition parlementaires travailler de conserve pour sortir le pays de la crise profonde où il s’enfonce, en faisant fi de leurs divergences idéologiques et polémiques. Quels drames faut-il qu’il advienne pour que les hommes politiques unissent leurs forces et leur intelligence (si elle existe !) et pour qu’ils consentent à oublier un moment leurs préoccupations électorales à court terme et à courte vue ? Mais les socialistes préfèrent polémiquer sur un bouclier fiscal dont l’enjeu atteint difficilement quelques millions d’Euros (alors que la perte d’activité nationale est prévue à hauteur de 45 milliards d’Euros environ !) et utiliser ce prétexte pour s’opposer au gouvernement, alors que l’État s’est endetté de plusieurs dizaines de milliards pour tenter de ralentir les effets de la crise. Pourquoi, si le consensus est à ce prix, le gouvernement ne prend-il pas en considération les critiques de l’opposition ? Pourquoi majorité et opposition n’arrivent-elles pas à se mettre d’accord sur le diagnostic et sur la meilleure stratégie à mettre en œuvre ? Pendant que les arrière-pensées fleurissent dans le monde politique et obèrent les chances de succès, les drames se multiplient dans le monde ordinaire du peuple qui entend un discours préfabriqué et polémique dans lequel les « petites phrases » prennent plus de place que les idées.

19 mars 2009

Indignation et préservatif

L’objectivité est fragile lorsque l’émotion est présente. L’indignation unanime suscitée par les déclarations papales concernant l’utilisation du préservatif brouille la compréhension du discours. Comprendre ne veut pas dire être d’accord, mais refuser sans comprendre est faire preuve d’aveuglement. Lorsque le pape condamne le préservatif, il ne fait que répéter, sans surprise, la position de l’Église catholique. Ce n’est pas la première fois que celle-ci se trouve en décalage avec la société ou la science. Il lui a fallu plusieurs siècles pour abandonner le créationnisme, encore qu’il subsiste des adeptes de cette ineptie. Cette posture de l’Église est donc réactionnaire et rétrograde. Mais l’indignation ne vient pas vraiment de ce refus. Tous ceux qui s’insurgent, stigmatisent l’affirmation papale soulignant que l’utilisation du préservatif aggrave la propagation du sida. À première vue, cette déclaration heurte le sens commun. C’est oublier que le pape est un intellectuel, vraisemblablement coupé des contingences ordinaires, enfermé dans son univers des idées, ce qui lui a déjà valu des déclarations critiquables et critiquées. En fait, en soutenant cette idée, le pape ne fait qu’affirmer une fois de plus, que la seule issue acceptable pour l’Église est la fidélité conjugale et l’abstinence. Benoît XVI s’élève contre l’existence même du préservatif car il y voit une facilité pour déroger, sans risque, à la loi de l’Église. Et c’est cela qu’il condamne en disant que le préservatif aggrave la situation. Ce qu’il n’accepte pas, c’est la supposée facilité, et donc la vraisemblable tentation, poussant à l’infidélité, source de la maladie. On peut ne pas être d’accord avec cette opinion, mais on ne peut pas reprocher au pape d’être en pleine conformité avec les lois de l’Église catholique. Ce que l’on peut regretter, à juste titre, est qu’il faille tant de temps à l’Église pour s’accorder avec son siècle. Quand comprendra-t-elle que le dogme n’est pas légitime lorsqu’il va à l’encontre de la lutte pour la vie et quand prendra-t-elle conscience de l’aporie existant dans la condamnation de l’avortement au prétexte de préserver la vie et celle du préservatif au risque de mettre cette même vie en péril ? Peut-être le pape ne sait-il pas que le sida a fait 25 millions de morts ? Il serait temps qu'il s'informe...

13 mars 2009

Dedans ou dehors ?

L’OTAN est né en 1949 après la seconde guerre mondiale, avec le fort assentiment français qui craignait un futur relèvement de l’Allemagne et les menaces du monde communiste organisé autour du Pacte de Varsovie. Peu à peu, cet organisme est devenu un outil à la disposition des Américains pour canaliser, voire influencer les politiques économiques et étrangères des pays occidentaux. Le général De Gaulle, arrivé au pouvoir, a pris la décision de retirer la France de cet organisme. Pour quelles raisons ? Tout d’abord, le général avait lancé la réalisation de la force de frappe nucléaire française et il n’admettait pas, à juste titre, que l’utilisation de cette arme stratégique puisse, d’une manière ou d’une autre, être soumise à l’approbation des USA, ce qui est le cas de l’arme nucléaire britannique. Ensuite le monde s’est trouvé, dans les années 60, soumis à la bipolarisation USA-URSS du fait de la guerre froide. Afin de n’être pas soumis aux contingences de ce bipolarisme, De Gaulle tente de développer une politique originale de multilatéralisme et, en 1966, se retire du commandement intégré de l’OTAN, tout en en restant membre, pour crédibiliser sa politique étrangère. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Son retrait du commandement intégré n’a pas empêché la France de participer à toutes les opérations menées par l’OTAN lorsque cet organisme a fait appel à elle, sans pouvoir participer aux choix du commandement puisqu’elle s’en est retirée : Bosnie, Kosovo, Macédoine, Afghanistan. Il n’y a guère qu’en Irak où la France a pris une position différente. De plus, la participation de l’Allemagne au commandement de l’OTAN n’a pas empêché celle-ci de refuser de participer à la guerre en Irak. Depuis l’effondrement de l’URSS, le bipolarisme a cédé la place à un multilatéralisme de fait, ce que prévoyait le Général De Gaulle. C’est-à-dire qu’une moitié des raisons du retrait de la France a aujourd’hui disparu. Reste l’arme nucléaire française. Là se situe le vrai problème posé par l’éventuelle réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Il serait inadmissible que l’utilisation de la force de frappe française ne dépende pas exclusivement du Président de La République Française qui est le chef suprême des armées. Y a-t-il vraiment un risque ? Cela n’est pas crédible.
Mais, au fait, quelle est la mission de l’OTAN aujourd’hui, le Pacte de Varsovie ayant vécu ?

10 mars 2009

La corporation des élus

Certes, en face de la crise que traverse le pays, la réforme n’a pas un caractère d’urgence évident. Cependant, lorsque l’État s’endette vraisemblablement au-delà du raisonnable, où la dette atteint 5% du PIB et où le déficit budgétaire sombre dans les abysses, il peut être important de réduire, là où cela est possible, le coût de fonctionnement de l’État. Or, d’importantes économies peuvent être facilement trouvées en éliminant l’empilement excessif des structures administratives de la France : la commune (36.000 !!), la communauté de communes, le canton, le département, la région, la communauté urbaine, l’État. À chaque étage, une armée de fonctionnaires avec des élus à sa tête, des moyens mis en œuvre souvent redondants. Ne serait-il pas raisonnable de simplifier ? C’est l’objet même de la Commission Balladur qui a remis ses propositions il y a quelques jours. Nous avons encore en mémoire les discours des hommes politiques de tout bord affirmant qu’il fallait simplifier d’urgence cet imbroglio administratif français, responsable de son inefficacité et de multiples confusions de responsabilités. À peine le travail de la Commission Balladur est-il remis à la présidence que ces mêmes politiques, de droite comme de gauche, s’élèvent avec virulence et une mauvaise foi évidente et confondante contre toute modification de la situation actuelle, animés par la peur panique de perdre leur qualité d’élus et les avantages considérables qui y sont attachés. Décidément, le corporatisme n’existe pas seulement dans les rangs syndicaux. Les parlementaires sont là pour donner l’exemple !! Quand y aura-t-il, en France, des hommes politiques qui auront le sens de l’intérêt général et le courage de le servir ? Mais, il faut bien avouer que cette attitude n’est pas propre à la France. Si nos députés préfèrent leur commune à la France, la Suisse, l’Autriche et le Luxembourg préfèrent la crise mondiale au lever du secret bancaire ! La courte vue est l’apanage de tous les politiques.

08 mars 2009

Incertitude infinie

Dans un précédent libelle intitulé « Le propre de l’homme » je m’interrogeais sur les différences entre l’homme et l’animal. Aujourd’hui, je voudrais apporter un correctif, ou plutôt un additif. Il existe deux caractéristiques essentielles à l’espèce humaine que j’ai oubliées d’invoquer. Nostalgique de son cocon placentaire, l’homme est constamment à la recherche d’une protection qui lui serait due (en France, cela s’appelle l’État providence et se concrétise dans un slogan : tous fonctionnaires !). De plus, poussé en cela par les religions monothéistes, l’homme se considère comme le centre du monde, c’est-à-dire qu’effectivement tout lui est dû et le monde a été créé pour lui, comme s’il avait passé un contrat synallagmatique avec Dieu. Revendication de protection et égocentrisme, voilà deux caractéristiques complémentaires de l’espèce humaine. Il est donc dans la nature des choses que la première vision que l’homme se soit construit du monde, lorsqu’il s’est interrogé à ce sujet, fut un monde clos et protecteur devant un infini angoissant, et géocentrique, c’est-à-dire dont il occupe le centre, devenant ainsi la justification même de l’Univers. L’Église a toujours invoqué un monde créé par Dieu pour l’homme et pour lui seul, dont il était naturellement le centre. Et seul Dieu pouvait tutoyer l’infini.
Cependant, de tout temps, certains hommes ont cherché à comprendre ce monde en tournant leur regard vers les étoiles. Son infinitude a toujours été une interrogation, mais surtout une difficile appréhension. Déjà, au VIème siècle avant notre ère, Anaximandre de Miles évoquait l’Apeiron, illimité et éternel, réceptacle du mondes clos des hommes. Un siècle plus tard, en écho à Parménide évoquant un monde fini, « comme une balle bien ronde », Archytras de Tarente pose, pour la première fois le paradoxe du bord : que se passe-t-il si, arrivé à la frontière du monde, je masse la main à travers elle ? Il en tire la conclusion que le monde ne peut être qu’infini. Puis vint Aristote, dont la Physique allait imprégner les siècles suivants. Pour lui, le monde n’est pas un espace, mais un « lieu » qui contient le monde clos et sphérique dont la Terre est le centre. Au-delà de la sphère des étoiles, il n’y a tout simplement rien. Pourtant, si Aristote réfute l’infiniment grand de l’Univers, il identifie paradoxalement l’infinie divisibilité d’une ligne (pour lui l’atome de Démocrite n’existe pas) et donc l’existence d’un infiniment petit potentiel. L’homme est toujours au centre. Il faut attendre Aristarque de Samos pour expulser l’homme du centre du monde et le placer en mouvement autour du soleil : le modèle héliocentrique est né mais reste fini. Avicenne et Maimonide reprendront à leur compte, au Xéme et au XIIéme siècle, le concept d’Univers fini, tentant même de déterminer sa dimension. Cette vision restera celle de Copernic au XVéme siècle. Il faudra attendre encore une centaine d’années pour que Giordano Bruno donne ses lettres de noblesse à la cosmologie infinitiste, « car Dieu aux pouvoirs infinis ne peut avoir créer qu’un monde infini ». Mais si l’Univers est infini, alors la pluralité des mondes est inévitable. Cette conclusion lui vaudra le bûcher, l’Église ne pouvant abandonner le caractère sacré de l’homme et donc son unicité. Le siècle suivant, dominé par Kepler, Galilée et Newton, conservera cette vision d’un Univers fini, même si Galilée instille un doute en affirmant « qu’il n’est pas encore décidé si l’Univers est fini ou infini ». Ce n’est qu’au XXème siècle qu’Albert Einstein jettera les bases de la cosmologie moderne en s’appuyant sur des mathématiques nouvelles (les géométries riemanniennes) pour décrire un Univers fini mais sans limites. En résolvant le paradoxe de la portée infinie et immédiate de la gravitation par une solution géométrique de l’Univers, Einstein a ouvert la voie de la cosmologie moderne d’aujourd’hui. Nous savons, à présent, que la géométrie de l’Univers, et donc sa finitude ou son infinitude, dépend de deux paramètres essentiels : la courbure (qui elle-même est fonction de la densité du contenu matériel de l’Univers) et d’un paramètre appelé constante cosmologique. L’incertitude actuelle sur la valeur de ces deux paramètres nous ramène donc à l’interrogation de Galilée : nous ne savons pas aujourd’hui, avec certitude, si l’Univers est infini ou non. Vingt-six siècles se sont écoulés depuis que l’homme s’interroge sur le cosmos et nous n’avons toujours pas de réponse. En aurons-nous jamais une ?