30 septembre 2010

Un monde dérisoire

La société dans laquelle nous vivons – de plus en plus mal pour de plus en plus d’individus – est marquée par la perte de sens des mots, des actes et des idées. Nous sommes entrés dans un monde du dérisoire. Les exemples de cette dérive sont nombreux. Pour en évoquer quelques-uns, du plus caricatural au plus grave :
• Le marketing et la publicité nous abreuvent de discours qui se teintent artificiellement d’un vernis scientifique en affichant des pourcentages s’appliquant à n’importe quoi, qui ne veulent absolument rien dire et qui, de toute façon, sont invérifiables mais qui permettent d’échapper à la publicité mensongère en affirmant que les résultats ventés sont « scientifiquement prouvés ». L’apparente neutralité du chiffre renvoie à une fausse autorité scientifique faite, non pas pour démontrer mais pour endormir et tromper. Les messages portant sur les soi-disant effets bénéfiques sur la santé du consommateur sont tout aussi ridicules, car accompagnés de phrases sibyllines, comme « … dans le cadre d’un régime adapté », qui protègent sournoisement leurs auteurs de toute poursuite judiciaire en cas de contestation. Le marketing fonctionne sur le slogan « arnaquer plus pour gagner plus ».
• Le monde du show-biz est envahi par de soi-disant artistes éphémères, encombrant les ondes et la télévision de prestations vocales construites sur des paroles débiles, voire une diarrhée verbale, accompagnées d’un semblant de mélodie construite sur deux notes et un accord. Le paradigme en la matière est le rap, dont la production délirante inonde le marché du disque d’une logorrhée insupportable
• La production télévisuelle est, de plus en plus, encombrée de séries débiles faisant intervenir de jeunes acteurs (?) totalement inconnus et lamentables qui disparaissent de la scène aussi rapidement qu’ils y sont venus. La télé-réalité, qui est tout ce qu’on veut sauf la réalité, est la vulgarité même offerte en pâture aux téléspectateurs voyeuristes.
• Qu’est-ce qu’un monde où la radio diffuse 4 à 5 fois par jour les cours de la Bourse, comme si l’information était d’une importance capitale aux oreilles des millions de chômeurs, des travailleurs précaires et des sans-logis ?
• Il n’y a pas que la production audio-visuelle qui s’étouffe lentement dans le dérisoire. La production littéraire (?) n’est pas à l’abri du phénomène. Les rayons des libraires sont envahis de livres (mal) écrits (ou commandés) par des individus qui n’ont strictement rien à dire, sinon de raconter leur vie qui n’intéresse personne.
• La société est gangrenée par les experts, les gourous, les coachs, les consultants qui assènent dans un jargon abscons leurs vérités du genre « si vous êtes malade, c’est que vous êtes en mauvaise santé » !
• La crise, les guerres, le terrorisme, les catastrophes font fleurir les « experts » de tout poil dans les médias qui viennent étaler leur incompétence et leur ignorance avec aplomb et suffisance. Les champions en la matière sont les experts économistes (ou qui se disent tels) qui assènent avec assurance leurs prévisions associées immédiatement de l’hypothèse contraire (les poules font des œufs ou, peut-être, l’inverse !). Ils utilisent avec dextérité des statistiques leur permettant de prouver tout et son contraire. Ils auront ainsi toujours raison, mais ils ne servent à rien. N’a-t-on pas vu un « spécialiste » des cours de Bourse faire appel à un « voyant » (sic !) pour crédibiliser ses prévisions !! Les aruspices boursiers ont remplacé la lecture des entrailles par l’interprétation des cours de Bourse. Disraeli disait, à juste titre : « Il y a trois sortes de mensonges : le mensonge, le sacré mensonge et les statistiques ». C’est toujours après une crise que pullulent les experts qui disent l’avoir prévue, alors qu’ils sont restés totalement aveugles, allant même jusqu’à assurer qu’elle ne se produirait pas. Le discours des experts varie sans vergogne (et sans excuse) au gré des fluctuations du monde et penche toujours dans le sens de la tautologie. Les experts se comportent comme un banc de sardines dont les individus changent de cap dans un parfait ensemble. Ils se parent des plumes du paon. Ne voit-on pas un ancien présentateur de jeux télévisés se présenter aujourd’hui comme un expert météorologique et contester les travaux du GIEC à la télévision ?! Pourquoi la télévision offre-t-elle une telle audience au dérisoire si ce n’est que parce qu’elle vit du dérisoire ?
• La langue de bois des politiques se pare, elle aussi, d’une apparence de sérieux en utilisant les statistiques et les pourcentages. Il est plus facile de parler d’un taux de chômage que de la souffrance des chômeurs, de l’angoisse de tous ceux qui craignent de perdre leur emploi et de tomber dans la précarité. Qui peut vérifier le chiffre ? … alors que la souffrance se voit jusque dans la rue ! C’est ainsi que le chiffre montre que la richesse du monde s’accroît alors qu’il y a toujours plus de pauvres, de morts de faim et de soif, de pauvres de plus en plus pauvres. Le chiffre permet le « politiquement correct ». Quel homme (ou femme) politique parle de la France ? Aucun. Ils sont tous plus préoccupés de leur destinée que du destin du pays.
• Dans un monde aussi dérisoire, dans un monde où il devient impossible de croire ou d’espérer, la vie sociale se structure par le refus, ce qui fabrique une société où les antagonismes, voire la violence, font flores et prospèrent sur le terreau du mensonge. Cette société du refus est conduite par des meneurs (les riches, les patrons, les financiers, les dictateurs,…) qui perdent tout sens de la moralité et renforcent ainsi le rejet des autres et leur révolte. Le nationalisme et l’égoïsme sont devenus des vertus nationales dans le monde entier. Chaque pays se préserve, coûte que coûte, des autres nations et, dans chaque pays, chaque citoyen se préserve de ses compatriotes.

25 septembre 2010

Le modèle suédois

Les hommes politiques vivent un véritable cauchemar. En effet, depuis toujours, la référence au modèle suédois fait flores dans les discours politiques de tous bords. Dès qu’il s’agit de démontrer qu’il fait meilleur ailleurs, la Suède est citée en exemple. Ce pays est toujours présenté comme le parangon de l’État providence et de l’intégration réussie, un pays où les négociations syndicales sont toujours conclues dans le consensus, où le prélèvement fiscal élevé (55% du PIB) est accepté en échange d’une protection sociale importante. Et voilà que les dernières élections font entrer au Parlement une vingtaine de députés néo-nazis (sous le nom de Parti Démocrate !). Tout d’un coup, le voile tombe et l’on s’aperçoit que, comme tout le monde, la Suède est confrontée à la mondialisation qui pousse le citoyen à détester le plombier polonais. Les hommes politiques français décontenancés sont, soudainement, privés de leur alibi préféré. Comment porter aux nues un des rares pays européens où l’extrême droite siège au Parlement ? Au-delà de l’embarras de nos politiciens, il ne faut pas se cacher le fait que c’est le signe qu’il se passe quelque chose de grave en Europe, parce que cette consécration de l’extrême droite se produit aujourd’hui dans un pays de bonne gouvernance qui a su faire notablement reculer les injustices sociales. La Suède a toujours été un pays où l’immigration s’est déroulée dans les meilleures conditions pour les immigrants. Elle a accepté, par exemple, plus de réfugiés irakiens que les USA et le Canada réunis. Malgré cela, l’intégration des immigrants, tant vantée, n’a pas empêché l’exaspération du citoyen suédois. La peste brune, après avoir conquis l’Autriche, la Hongrie, le Danemark, la Hollande, la Norvège, (faut-il ajouter à cette liste la France et l’Italie ?) investit aujourd’hui la Suède. C’est cette pandémie qui est grave et qui s’épanouit sur le terreau de la peur et de la xénophobie. C’est pourquoi la campagne sécuritaire dans laquelle est entrée la France est dangereuse, voire menaçante. Gardons-nous de nous laisser entraîner par ces réflexes xénophobes qui ont vite fait de virer au racisme. La période de la Seconde Guerre Mondiale a montré qu’il sommeillait au fond de beaucoup de Français une xénophobie capable de mener certains d’entre eux aux pires exactions. Dans une situation faite de difficultés, voire de peur, il est tellement facile de rechercher dans un bouc émissaire la cause de nos angoisses.

22 septembre 2010

Neuroéconomie

J’ai souvent écrit, dans ces lignes, que l’Économie n’était pas une science, incapable qu’elle est de faire des prédictions (et non pas des hypothèses) vérifiables et falsifiables. Forte d’explications sur le passé, l’Économie n’a jamais su anticiper les évolutions économiques de la société et du monde. Bien entendu, les formulations « scientifiques » des économistes s’appuient sur des hypothèses, comme les mathématiques s’articulent sur des axiomes. Or, parmi ces hypothèses, l’une d’entre elles est l’existence d’un consommateur ou d’un producteur type agissant rationnellement dans ses choix. Tout le monde sait bien que l’acteur type est un fantasme et que la rationalité du choix est un leurre. Conscients de cette défaillance dans la théorie, les économistes se lancent aujourd’hui dans une nouvelle voie, celle qui s’intitule neuroéconomie. La neuroéconomie se veut au croisement de l’économie et des sciences cognitives, en voulant prendre en compte les facteurs cognitifs et émotionnels dans les mécanismes de prises de décision concernant les choix d’investissements, de placements et d’emprunts, d’achat, de production, de stratégie d’entreprise. Cette neuroéconomie a la prétention de prendre en compte les réactions et le fonctionnement du cerveau, en utilisant les résultats de l’imagerie médicale qui permet de repérer les zones cérébrales activées au moment des prises de décision (sic !!). L’objectif est d’obtenir un hypothétique modèle du comportement des acteurs. C’est-à-dire que les économistes, conscients de la faiblesse du principe de rationalité de comportement d’un acteur type, cherchent à le remplacer par un modèle de comportement d’un cerveau type ! Peut-on parler d’un progrès ? Ne passe-t-on pas d’une utopie à un mirage ? Il y a une explication à ce subit intérêt des économistes pour les neurosciences. Nous ne sommes pas prêts d’oublier les conséquences des comportements inqualifiables des acteurs financiers qui ont conduit le monde dans une crise dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences. Or, parmi ces acteurs, il y a les traders, dont Jérôme Kerviel est devenu l’emblématique représentant. Les économistes focalisent leurs recherches en essayant de créer un trader type, en s’interrogeant sur les motivations conduisant aux choix réalisés par cet acteur. Lorsqu'on mesure l'activité cérébrale d'un individu qui doit décider de vendre ou d'acheter un titre en Bourse, on observe la mise en jeu de différentes zones du cerveau actives également lors d'autres circonstances émotionnelles de la vie. Ce sont ces observations que les économistes veulent utiliser pour, une fois de plus, expliquer le passé ! Je parie, sans risque, que cette entreprise est vouée à l’échec. Et cela pour une raison simple. Remplacer 6 milliards d’individus par un individu type était déjà une gageure. Remplacer 100 milliards de neurones par individu par un cerveau type est une utopie sans issue. À la simplification outrancière des processus économiques va s’ajouter une schématisation grossière du fonctionnement cérébral.

11 septembre 2010

Le théâtre et la retraite

La politique consiste à présenter aux citoyens une pièce de théâtre parfaitement organisée tout en lui faisant croire que les acteurs improvisent leurs rôles face aux évènements. Le débat sur les retraites qui secoue la société depuis des mois en est un parfait exemple. Tous les acteurs connaissent leur rôle sur le bout des doigts et le jouent avec maîtrise. Les syndicats jouent les révoltés en face « d’un recul social » et « d’une absence de concertation », les parlementaires de l’opposition jouent l’indignation devant « une injustice insupportable », les parlementaires de la majorité s’enthousiasment devant « le courage » du gouvernement, ce dernier prend la posture de la résolution courageuse, distillant les amendements à son projet, prévus de longue date, au fur et à mesure des manifestations pour montrer son « écoute du peuple ». Et tous connaissent depuis longtemps l’aboutissement de ce mélodrame : l’âge légal de la retraite passera de 60 à 62 ans et l’âge d’une retraite à taux plein de 65 à 67 ans. Les manifestants eux-mêmes savent pertinemment que, malgré leurs slogans protestataires, cela ne changera pas. Toutes les amodiations distillées à mesure des évènements font partie d’une partition jouée d’un commun accord par l’ensemble des acteurs. Malgré le fait que nous connaissons tous le final de ce mélodrame, il est néanmoins possible de se poser quelques questions.

• Avant que la durée légale ne passe, sous le « règne » de F. Mitterrand, de 65 à 60 ans, les syndicats ne parlaient pas de pénibilité. Si ce qui ne posait pas de problème à 65 ans, pourquoi cela en pose-t-il soudain et avec une telle acuité à 62 ans ?
• La plus grande injustice du système n’est-elle pas la réforme Balladur qui a porté à 25 ans la durée de calcul du montant de la retraite des salariés du privé en laissant à 6 mois cette durée pour les fonctionnaires, alors que le déficit des systèmes de retraite du public est financé par le privé ? On remarquera le silence complice des syndicats et de l’opposition sur cette véritable injustice. Le silence des syndicats n’est pas étonnant puisqu’ils représentent essentiellement, pour ne pas dire uniquement, les fonctionnaires.
• Le projet prévoit que les femmes fonctionnaires ayant eu 3 enfants garderont le bénéfice des 60 ans. Pourquoi cet avantage n’est-il pas offert aux femmes travaillant dans le privé ? Une caissière de supermarché est-elle moins méritante qu’une guichetière des Postes ?
• La gauche met en avant l’injustice faite aux femmes par un âge d’obtention d’une retraite à taux plein porté à 67 ans alors que, pour la plupart d’entre elles, la durée de cotisation minimale est inaccessible du fait des maternités et des emplois à temps partiel. C’est ignorer volontairement (attitude politicienne) que ce problème n’est pas un problème de retraite mais un problème d’iniquité de la vie salariale et sociale et qu’il n’appartient pas au régime de retraite de pallier une injustice économique mais aux entreprises de respecter l’égalité de traitement entre hommes et femmes.
• Crier au loup en disant que le report de 60 à 62 ans de l’âge légal est un véritable séisme ne peut faire oublier le séisme que ce fut pour les entreprises que le report de 65 à 60 ans !

Voilà quelques questions légitimes qui sont étrangement passées sous silence par les différents protagonistes qui font semblant de s’étriper sur des sujets que tout le monde sait réglés.

05 septembre 2010

Le zéro et l’infini

Les mathématiques conduisent parfois à des situations indéterminées. En particulier, la manipulation des infinis peut déboucher sur de telles situations. Par exemple, la multiplication de zéro par l’infini (0*∞) débouche sur une incertitude sur le résultat de l’opération qui peut être zéro, l’infini ou un nombre fini. Lorsque l’on se pose la question de la possibilité de la vie dans l’Univers, on se trouve dans une telle situation. En effet, l’existence d’une vie intelligente sur Terre relève d’une série de probabilités infimes dont le produit fournit un résultat tellement faible que l’on peut considérer cette existence comme un véritable miracle de la nature (Cf. « L’Homme, un accident de l’Histoire » : 4/6/2008). D’autre part, le nombre d’étoiles dans l’Univers est infiniment grand, puisque l’on estime qu’il existe une à deux centaines de milliards de galaxies avec, dans chacune d’elles, une centaine de milliards d’étoiles. Autour de chacune d’elles, peuvent orbiter des planètes susceptibles de recevoir la vie. On est donc en présence d’une probabilité infiniment grande pour qu’existe une planète où la vie ait pu se développer. Le produit de cette probabilité avec celle qui est attachée aux processus conduisant effectivement à la vie est donc semblable à l’indétermination évoquée ci-dessus. Il est donc impossible de prouver la possibilité ou l’impossibilité d’une vie extra-terrestre. Cette question restera toujours indécidable. Le théorème de Gödel est peut-être à généraliser ?