31 mars 2010

Paroles, paroles

« Le ton de l’orateur […], dès que le sujet est grand, doit toujours être sublime » (Buffon).
Voilà un adage que N. Sarkozy ne doit pas connaître. En présence de la future élite américaine au mois de Mars 2010, au sein de l’Université de Columbia, et évoquant le succès de l’obstination du Président américain sur la protection sociale des plus démunis, le Président français a, en effet, tenu un long discours dont voici un court extrait :
« L’idée que ça fasse un débat d’une telle violence que de vouloir que les plus pauvres d’entre vous ne soient pas dans la rue sans un seul centime face à la maladie, excusez-moi, mais nous, ça fait jamais que cinquante ans qu’on a résolu le problème ».
Fasse le ciel qu'aucun auditeur ne comprenne le Français ! Le sabir du Président Français devant l’élite de la jeunesse américaine et les futurs managers des USA laisse sidéré et presque honteux. On attendrait une certaine hauteur et un peu d’élégance dans la langue utilisée par le premier des Français. Peut-on accepter que le Président parle comme un tenancier de bistrot sans se sentir honteux d’être français ? Ajoutons que cette gouaille consistant à évoquer les échanges avec le Président américain en utilisant sans retenue le tutoiement est le signe d’un « m’as-tu vu » insupportable et vulgaire. Décidément, le costume est beaucoup trop grand pour le personnage. Lorsque le général De Gaulle lançait son appel radiophonique du 18 Juin 1940, voilà ce qu’il disait :
« Cette guerre n’est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Toutes les fautes, tous les retards , toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis ».
Si l’on croit que Rivarol avait raison en disant que « La parole est la physique expérimentale de l’esprit », alors il y a un « bug » dans celui de N. Sarkozy.

23 mars 2010

Quel avenir ?


Prenons un peu de recul. Les élections régionales sont à peine terminées que le discours politique joue de sa langue de bois préférée. Pour la « majorité » défaite, « nous avons entendu le message des Français », mais on ne sait pas lequel. Pour l’opposition, « les Français ont demandé de changer de politique » mais on ne sait pas pour laquelle. Voilà pour l’analyse. La situation est, pourtant, simple. La France régionale était entièrement rose avant, elle l’est après. Il n’y a, en pratique, aucun changement. Il ne peut donc y avoir de surprise ou de découverte ! Il n’y a que les politiques pour découvrir un nouveau « message ». Aucun d’entre eux ne parlent du vrai problème de la France : celle de son appauvrissement. Depuis deux décennies, la France dépense plus qu’elle ne gagne. La balance commerciale du pays, qui mesure cet appauvrissement, est déficitaire aujourd’hui de près de 5 milliards d’Euros. Depuis plus de 30 ans, les budgets sont déficitaires pour atteindre cette année près de 8% du PIB (adieu les critères de Maastricht !). La dette, qui accumule ces déficits, s'envole vers un sommet depassant 1.500 milliards d’Euros, soit plus de 20.000 € par Français. Les caisses de retraites sont en danger de faillite avec un rapport actifs/retraités qui ne cesse de diminuer, la Sécurité Sociale est en déficit chronique mettant en danger le « modèle social français ». Le pays a une dépense publique qui atteint 53% du PIB. La France compte près de 8 millions de fonctionnaires, soit le quart de la population active alors que la moyenne européenne est de 15%. Depuis 15 ans, les effectifs de fonctionnaires ont augmenté de 35%. Le diagnostic est donc simplissime : la France vit au-dessus de ses moyens. L’ordonnance n’est donc pas compliquée : la France doit dépenser moins et travailler plus et mieux. Et le message que les Français ont envoyé lors de ces dernières élections, caressés dans le sens du poil par les syndicats, est le refus de toute politique d’austérité. Ne pas toucher aux retraites, ne pas augmenter les impôts, refuser toute diminution de fonctionnaires, continuer de réclamer « plus de moyens », tel est le sens de l’opposition au gouvernement qui s’est manifesté dans les bulletins de vote. La solution préconisée ? Il n’y a qu’à « piocher » dans la poche des plus riches, scandaleusement privilégiés. Discours en trompe-l’œil car, en supposant que l’on confisque le salaire et les stock-options de tous les patrons du CAC 40, cela permettrait de distribuer 350 € au 4 millions de Français les plus pauvres. Pas de quoi bouleverser leur niveau de vie ! Ceci veut dire que la suppression du bouclier fiscal peut être un symbole mais sûrement pas une thérapie.
L’indispensable politique de rigueur nécessiterait un minimum de consensus politique pour avoir une chance de réussite. Hélas, nous ne sommes encore qu’à mi-chemin du quinquennat que déjà tout le microcosme politique a le regard tourné (et fasciné !) par les élections présidentielles qui auront lieu dans deux ans. Il est malheureusement prévisible qu’une fois de plus l’intérêt général va succomber sous les assauts des ambitions personnelles qui ne vont pas tarder à se manifester (5 à gauche et 4 à droite). Le récent remaniement ministériel, essentiellement manœuvre politique, n’annonce aucun changement important dans la politique menée jusqu’à aujourd’hui. Il n’y aura pas de rigueur accrue et des réformes partielles qui ne seront pas menées au bout. Les nuages s’accumulent et le ciel s’assombrit.

20 mars 2010

Le monde de l’inutile

Plus que dans une société de consommation, nous vivons dans un monde de l’inutile. À vouloir forcer le citoyen à consommer, à vouloir susciter des besoins artificiels à tout prix, la société est parasitée par une invasion d’inutilités : associations inutiles, recherches inutiles, produits inutiles, compléments alimentaires parfaitement inutiles, livres inutiles, productions soi-disant artistiques inutiles, guerres inutiles, discours inutiles, grèves inutiles, lois inutiles, métiers inutiles, médicaments inutiles, etc …
Cette production effrénée de l’inutile crée un brouillard qui dissimule l’essentiel et détourne les esprits du fondamental. Cela conduit à privilégier la forme sur le fond, comme le démontrent les contestations de tous bords sur tous les sujets aussi futiles soient-ils, le discours électoral qui sombre dans les profondeurs de la médiocrité et de l’absence sidérale d’idées. Les revendications syndicales sont devenues purement catégorielles, sacrifiant toujours l’intérêt général à l’intérêt particulier et corporatiste, et se réduisant à la simplissime exigence de l’augmentation des moyens. Les soi-disant débats d’idées se réduisent à l’anecdotique, à la recherche de la petite phrase à la limite de l’injure, quand ils ne sombrent pas dans une confusion inaudible. Les réunions électorales sont le théâtre de discours qui n’ouvrent aucune réflexion, déroulant un florilège de mots creux que n’importe qui pourrait s’attribuer, se réduisant le plus souvent à la seule critique acerbe de l’adversaire. Là est la source de l’abstention qui ruine le fonctionnement démocratique. La télévision est inondée de séries qui se ressemblent toutes, d’émissions de soi-disant « télé-réalité » totalement artificielles et arrangées par avance, sans aucun intérêt autre que de flatter le peuple dans ce qu’il a de plus médiocre, de séries bâclées, décervelantes et jouées par des gens sans talent aucun. Les librairies sont envahies par d’innombrables ouvrages éphémères de non-écrivains, tout aussi éphémères, qui n’ont d’autres sujets qu’eux-mêmes et qui racontent leur vie dénuée de tout intérêt, mais qui leur permettent de distiller à longueur d’interviews le sacro-saint « Dans mon livre … ». La production musicale propose en permanence des « œuvres » d’une médiocrité confondante et prétentieuse et qui ne durent que le temps, pour la maison d’édition, de faire grossir quelque peu son chiffre d’affaires en jouant des effets de mode qu’elle crée elle-même. La parapharmacie met sur le marché une quantité considérable de crèmes soi-disant miracle et totalement inefficaces, mais profitant de la crédulité imbécile du chaland. Sur les rayons de supermarchés s’alignent des quantités de produits qui sont fondamentalement identiques, parfois en provenance du même producteur, et qui ne diffèrent que par leur présentation, leur prix et leur emplacement dans les rayons. Des salaires faramineux sont distribués aux footballeurs et aux traders, c’est-à-dire à des individus totalement inutiles, quand ils ne sont pas nuisibles, à la société. Nous sommes passés progressivement de la société d’abondance à la société de consommation puis à celle de l’inutile. Il est difficile de dire qu’il s’agit là d’une évolution positive. Dans le même temps, 4 milliards d’êtres humains vivent avec moins de 2$ par jour. Pour ceux-là, même ce qui est indispensable vient à manquer.
Critiquer la société de l’inutile, apanage des pays développés, ne justifie pas pour autant une politique de la décroissance. Comment peut-on souhaiter la décroissance alors que l’humanité comptera bientôt 3 milliards d’êtres humains supplémentaires ? Ceux qui prônent la décroissance font preuve d’un égoïsme démesuré en acceptant que les plus pauvres et les hommes à venir n’aient rien à eux. Pour pouvoir partager, quelle que soit la forme économique que peut prendre ce partage, il faut nécessairement avoir quelque chose à offrir. Les tenants de la décroissance oublient que tout système, social et économique, n’est pas isolé du reste du monde et que ce qui se passe chez nous a obligatoirement des conséquences ailleurs. Vivre dans l’inutile et l’égoïsme serait-il le propre de l’homo-économicus développé ?

18 mars 2010

Les grandes menaces

Les dangers qui menacent les hommes sont nombreux et variés. L’imagination des hommes et leur « hubris » débridé multiplient à l’envi les risques encourus. Mais parmi tous ceux-ci, il en est quatre principaux : la modification climatique, le terrorisme, le monde des nanotechnologies, l’endettement des pays riches et la financiarisation de l’économie.
Tout d’abord, le réchauffement dû à l’effet de serre. Il ne s’agit plus d’un hypothétique danger, les conséquences de l’élévation des températures se manifestant déjà. Les calottes glaciaires disparaissent, monde fragile s’il en est et tellement vital pour la diversité biologique de la planète. Au rythme actuel, les glaces polaires auront totalement disparu entre 2050 et 2080. La disparition de la glace de mer aura de terribles répercussions sur la faune, la fonte de la glace d’eau douce (les glaciers) alimentera la montée du niveau des océans et perturbera la circulation des grands courants marins. D’autres lieux seront affectés par ce réchauffement, en particulier tous les pergélisols, en Alaska et en Russie. Ce milieu contient du CO2 et du méthane dissous qui seront libérés avec le réchauffement du milieu. Le méthane est un gaz à effet de serre dix fois plus nocif que le dioxyde de carbone. Les fonds marins comportent d’immenses quantités d’hydrate de méthane qui deviendra instable avec l’élévation de la température des océans, libérant le méthane. Ces émissions ne feront qu’augmenter l’effet de serre et le réchauffement, ce qui accentuera celui des océans. Ce réchauffement important aura alors une double conséquence : l’élévation du niveau des eaux et la disparition des algues sous-glacières dans les zones polaires. Or, ces algues sont à la base de l’alimentation du plancton, nourriture du krill, lui-même nourriture des grands mammifères qui vont donc disparaître. La disparition des baleines, dont les cadavres servent de nourriture à toute la faune des abysses, entraînera la disparition de cette dernière. Quant à l’élévation du niveau des océans, elle va provoquer des migrations géantes depuis toutes les zones côtières menacées. Déjà Tuvalu et certaines îles du Pacifique sont sur le point de disparaître, chaque phénomène cyclonique inonde de plus en plus les terres du Bengladesh. À cette migration des peuples inondés s’ajoutera celle des populations soumises à une sécheresse de plus en plus grave. Au total, on peut envisager entre 100 et 200 millions de migrants climatiques. Un tel déplacement de population ne pourra avoir lieu sans avoir de terribles conséquences humaines.
Il y a ensuite le terrorisme. Le terrorisme idéologique se développe aujourd’hui sur un terreau confessionnel et civilisationnel. Le prosélytisme dont il fait preuve, basé sur la frustration et la haine, permet d’envisager, à juste titre, une expansion de son implantation et une radicalisation de son action. De nouveaux 11 Novembre sont à craindre. Le terrorisme mafieux, cherchant généralement une justification hypocrite dans le nationalisme, confond, avec moins d’envergure, ses actions avec celles du terrorisme politique. C’est ce que pratiquent les FARC en Colombie, certains indépendantistes corses, l’ETA en Espagne. Enfin, la raréfaction des matières premières non renouvelables va pousser certains pays propriétaires des gisements à exercer un chantage de plus en plus important sur le reste de la planète, chantage relevant du terrorisme d’Etat.
Il existe aune autre menace, celle que constitue la convergence des NBIC (nanotechnologies, biotechnologies, techniques de l’information, sciences cognitives). Les nanotechnologies forment actuellement trois domaines principaux d’application : la nanobiologie, les nanomatériaux et la nanoélectronique. Ces nanotechnologies vont permettre de fabriquer et de marquer des éléments de plus en plus petits, de la taille de la cellule, permettant à tout moment de communiquer et de traiter des informations sur l’individu. Déjà, un laboratoire américain privé vient d’annoncer la fabrication d’un génome complet d’une bactérie. Cette possibilité ouvre la voie à la création en laboratoire de virus et de bactéries dont il n’est absolument pas certain que l’on soit capable de maîtriser les effets. La fabrication de machines à traiter l’information, de plus en plus rapides et utilisant la physique quantique et ses lois étranges (intrication, non-localité, …) va permettre le traitement d’un volume de plus en plus grand d’informations facilitant le « suivi » d’une population entière et entraînant la disparition progressive de « l’aire privée ». Ces machines seront capables d’utiliser les derniers progrès des sciences cognitives et, de ce fait, de gérer le comportement des humains qui vont y perdre leur libre-arbitre…sans même s’en apercevoir !
Enfin, il reste l’endettement des pays riches. Ces pays accumulent une dette qui prend des proportions effrayantes. Les USA empruntent 800 milliards de dollars par an et leur dette publique atteint les 8000 milliards de dollars. La dette allemande est de 1500 milliards d’Euros, la dette française dépasse les 1200 milliards d’Euros, la dette italienne avoisine les 106% de son PIB , la dette belge atteint 102% du PIB et la dette française représente 77% du PIB. En Europe, la moyenne de l’endettement atteint environ 80% du PIB européen. Comment les actifs futurs pourront-ils payer le service de la dette ? Beaucoup de pays dits développés ont appliqué une politique keynésienne, consistant à emprunter pour relancer la consommation, donc l’activité et la création de richesses. Mais ce processus ne fonctionne que si l’accroissement de richesses est plus grand que l’emprunt additionné des intérêts. Dans le cas contraire, la dette augmente. C’est ce qui s’est passé à cause du laxisme des pays dits développés. Les pays pauvres sont également, et par définition, endettés. Or, ils sont, pour beaucoup, incapables de payer les intérêts de leur dette.
Aggravant encore ce risque de faillite généralisée, l’activité financière est, depuis longtemps, beaucoup plus importante que l’activité industrielle, ce qui veut dire qu’une grande partie de la création de richesses est totalement artificielle. La financiarisation outrancière de l’activité se trouve à la merci d’une baisse du dollar, d’un crash immobilier, d’une baisse boursière (trois évènements qui sont en train de se produire), d’une défiance des banques envers les Etats entrainant un effondrement de la valeur des obligations. Voulant alimenter coûte que coûte (c’est bien le mot !) le marché financier et la spéculation, les organismes bancaires ont mis sur le marché des produits de plus en plus sophistiqués et risqués, sans que ne s’exerce le moindre contrôle ; ce qui a conduit à la crise récente des « subprimes » qui a plongé l’ensemble des économies occidentales dans la tourmente et menace leur population de difficultés importantes. Le monde occidental (des privilégiés) est plongé dans une frénésie de l’argent « à tout prix » qui le pousse à délaisser l’économie réelle pour un jeu qui ressemble de plus en plus à une économie casino. Et, dans un tel jeu, on sait bien que les joueurs sont toujours perdants.
Il est classique de dire que l’avenir est incertain. Il est aussi dangereux. Nous avons connu la crise financière, puis la crise économique, bientôt la crise sociale (la Grèce) et sociétale.

15 mars 2010

La vérité est ailleurs

Les élections régionales qui viennent d’avoir lieu ont désigné un incontestable vainqueur : l’abstention. Certes, la Gauche française clame son succès à grands cris et dépeint la France comme un peuple de gauche. La France, un peuple de gauche ? La vérité est ailleurs. Il faut tout d’abord constater que la majorité des abstentionnistes est droitière, ce qui nuance déjà fortement le cri de victoire de l’opposition. Ensuite, le Français est le parangon du citoyen qui brûle aujourd’hui ce qu’il a adoré hier, voire il y a juste une heure. Le Français est contestataire par construction. Le succès des soi-disant humoristes qui sévissent dans les médias en faisant fortune grâce à leurs ricanements à la limite de l’insulte faite aux politiques est un excellent indicateur du penchant français vers la critique systématique sans nuance. Ainsi, tout vote est l’occasion donnée au citoyen d’exprimer à bon compte son ire vis-à-vis de ceux qui le gouvernent. Les Français ne votent pratiquement jamais « pour » mais, le plus souvent, « contre ». Le regain du Front National s’explique ainsi. Il faut dire que c’est beaucoup plus confortable et sans risque. Lorsque l’on compare l’attitude abstentioniste des Français et la participation importante des Afghans aux dernières élections malgré le risque énorme encouru à cause du terrorisme, on reste confondu. Les Afghans considèrent le vote comme une exigence de leur démocratie naissante, les Français comme une corvée inutile de leur démocratie vieillissante. Comme d'habitude, pour l'opposition "la droite n'a rien compris", pour la majorité (?), "la gauche se trompe". Comme d’habitude, tous les politiques crient victoire ou démontrent, en utilisant une langue de bois parfaitement au point, que la défaite n’en est pas une mais l’occasion de « recevoir le message des Français », même s’il n’y a aucun message envoyé, hormis celui qui consiste à contester le pouvoir.

08 mars 2010

La crise pour les nuls !

Alors voilà, Mme. Colette a une buvette à Curette en Tarn & Saône. Tout d’abord, en bonne gestionnaire, elle accroche au-dessus de son comptoir l’affichette « Ici, on ne fait pas de crédit » pour se mettre à l’abri des mauvais payeurs, d’autant que la grande majorité de ses clients sont alcooliques et chômeurs. Mais, au bout de quelques mois, elle trouve que son chiffre d’affaires est insuffisant pour lui permettre de s’offrir un certain nombre d’extras dont elle a envie depuis longtemps. Elle décide donc d’augmenter le nombre de ses clients. Pour augmenter ses ventes et attirer le chaland, elle décide de faire crédit. Vu qu'elle vend à crédit, Mme Colette voit augmenter le volume des consommations et la fréquentation de sa buvette. Elle en profite pour augmenter un peu les prix de base du "calva", du ballon de rouge et de la Suze-Casse.
De son côté, le jeune et dynamique directeur de l’agence bancaire locale, lui aussi soucieux d’améliorer ses performances en termes de prêts consentis, pense que les "ardoises" du troquet constituent, après tout, des actifs recouvrables puisque les clients de la buvette augmentent, et donc il commence à faire crédit à Mme Colette, en prenant les dettes des ivrognes comme garantie, ce qui suppose évidemment que ces dettes seront remboursées un jour. Au siège de la banque, des traders avisés et experts en mathématiques sophistiquées, « titrisent » alors ces actifs recouvrables en XYZ, CQFD, SAMU, OVNI, SOS, TLDLBB, et autres sigles financiers ésotériques que nul n’est capable de comprendre. Ces produits sont alors vendus sur le marché financier et conduisent, au NYSE (New York Stock Exchange), à la City de Londres, aux Bourses de Tokyo, de Francfort et de Paris, etc…, à des opérations dites de dérivés dont les garanties et les risques sont totalement inconnus de tous (c.à.d., en définitive, la capacité des ivrognes de Mme Colette en Tarn & Saône à payer leur ardoise !). Ces "dérivés" sont alors négociés pendant des années comme s'il s'agissait de titres solides et sérieux sur les marchés financiers de 80 pays. Comme leur valeur boursière a tendance à augmenter, la demande de ses produits augmente aussi et donc … leur valeur en bourse est en hausse ! Pendant ce temps, Mme Colette, en proie à des difficultés de trésorerie du fait des impayés grandissants, emprunte de plus en plus auprès de son agence bancaire qui utilise les dépôts de ses clients pour fournir les crédits demandés. Jusqu'au jour où quelqu'un se rend compte que les alcoolos du troquet de Curette n'ont pas un rond pour payer leurs dettes et que la buvette de Mme. Colette va faire faillite … ce qui se produit. Et le monde entier est grugé et se retrouve en crise.
Le directeur d’agence est, en réalité, le patron de Goldman Sachs, les alcooliques sont les ménages américains qui se sont endettés pour acheter leur logement, les actifs recouvrables s’appellent les subprimes, la faillite de la mère Colette est celle du monde en crise financière, puis économique, puis sociale et, finalement, politique, pendant que le grand banquier pense « Après moi, le déluge ! ». Vous voyez comme les choses sont simples !

07 mars 2010

Le système chinois

Le développement de la Chine laisse le monde interrogatif et inquiet. Interrogatif car on se demande sur quoi repose cette expansion. Inquiet car elle pourrait conduire à un nouvel impérialisme. La cause est simple à comprendre. La Chine tire le meilleur parti de son principal atout concurrentiel, à savoir une main d’œuvre pléthorique à coût minime qui lui permet des coûts de fabrication extrêmement bas, rendant l’industrie chinoise très compétitive sur les marchés occidentaux, cible de ses exportations, la demande intérieure restant insuffisante pour cause de revenus trop faibles. C’est pourquoi, afin de faire accepter des conditions de travail extrêmement difficiles, la Chine maintient une dictature politique qui muselle les oppositions et les contestations. Mais, pour faire fonctionner ses usines, la Chine a également besoin des techniques industrielles occidentales, c’est-à-dire qu’elle a besoin d’attirer rapidement les investissements étrangers. D’où le développement d’une libéralisation économique, indispensable pour rassurer les investisseurs occidentaux. Dictature politique, libéralisme économique, tel est le système chinois qui permet la production de produits compétitifs inondant les marchés des pays développés. À cela s’ajoute une sous-évaluation du Yuan qui renforce encore cette compétitivité. Cette stratégie a permis à la Chine de devenir l’atelier industriel du monde développé. Son marché principal est le marché américain qui absorbe une très grande partie de ses exportations. Il est donc essentiel que ce marché reste solvable, et ceci malgré la dette abyssale des USA (près de 80% de leur PIB) qui représente une menace pour la pérennité des exportations chinoises. C’est la raison pour laquelle la Chine rachète la dette américaine en achetant une quantité considérable de bons du Trésor américain, fournissant ainsi aux États-Unis les dollars dont ils ont besoin pour acheter ses produits. La boucle est bouclée, créant une intrication étroite entre les deux économies. La stabilité économique du monde étant subordonnée à celle de l’économie américaine, l’inquiétude des pays occidentaux porte sur la pérennité de cette dépendance réciproque. Mais le développement industriel explosif de la Chine entraîne, pour ce pays, un énorme besoin en matières premières qui vient s’ajouter aux besoins alimentaires colossaux d’une population de presque 1,5 milliards d’habitants. La Chine écume donc le monde pour mettre la main sur les matières premières, industrielles et alimentaires, dont elle a un besoin vital et se trouve ainsi en concurrence frontale avec les pays occidentaux. Elle transforme peu à peu l’Afrique en fournisseur quasi-exclusif et fait peser à long terme sur les marchés une très forte tendance à la hausse. Cette mainmise chinoise sur les ressources de la planète est ressentie confusément comme un impérialisme nouveau et inquiétant.
Bien entendu, cette expansion et ce développement chinois ne sont pas sans risques pour la Chine elle-même car ils ne profitent actuellement qu’à une petite partie de la population, essentiellement à une nomenklatura directement ou indirectement liée au Parti Communiste Chinois. Il se crée ainsi une société à deux vitesse qui ne peut qu’accroître les tensions sociales, aujourd’hui contenues par la dictature politique. Les prochains enjeux de la Chine sont donc les suivants :
Tout d’abord, développer, à côté des exportations, un marché intérieur qui dépasse la classe des favorisés afin de soutenir la demande ce qui provoquera une pression accrue sur les matières premières. Ensuite, acquérir la maîtrise des techniques et de l’innovation par le développement rapide de l’enseignement, des universités et de la recherche. Les universités chinoises, multipliant les coopérations internationales, comptent 23 millions d’étudiants. Les trois meilleures universités du pays, l’Université de Pékin, l’Université Qing hua à Pékin et l’Université Fudan à Shanghai sont capables de rivaliser avec les grandes universités américaines et européennes. Il n’est pas un domaine technique de pointe où la Chine n’investisse pas.
Pendant que la Chine s’éveille, l’Europe s’assoupit. Le réveil sera douloureux.