23 septembre 2012

Caricatures et violences

Le mot « insulter » vient du sens latin « braver, attaquer » qui a perduré jusqu’au XIXe siècle. Le sens a ensuite dérivé pour signifier « traiter avec violence » avant de prendre le sens qu’il a aujourd’hui, celui d’injurier. Le principe de réalité est (école Freudienne) la capacité d’ajourner une satisfaction pulsionnelle. Autrement dit, c’est un renoncement au plaisir immédiat et une adaptation à l’environnement extérieur justifiant cette renonciation. Dans la République laïque française, le blasphème n’existe pas (depuis Voltaire et la révolution française, définitif depuis la séparation de l’église et de l’Etat en 1905). Mais sont encore nombreux les pays européens qui reconnaissent et punissent le blasphème : l’Allemagne, le Danemark, l’Espagne, l’Irlande, les Pays-Bas, la Pologne, la Grèce, la Suisse. Même en France, il existe des exceptions : l’Alsace et la Guyane. La vraie laïcité est encore une denrée rare ! La justice n’étant pas une vengeance, celui qui se sent insulté a le droit de saisir les tribunaux au nom de l’incitation à la haine ou du trouble à l’ordre public. Pouvons-nous alors porter un jugement sur l’affaire du film islamophobe et imbécile américain et sur les caricatures de Charlie Hebdo ? Comme ils en ont l’habitude, les islamistes les plus virulents qui se disent insultés, c’est-à-dire injuriés, ne recherchent pas la justice mais la vengeance. En cela, leurs violences restent sans excuses possibles. Il ne fait pas beaucoup de doute qu’elles sont le résultat d’une manipulation des extrémistes islamistes, tant il est facile d’entrainer les foules, comme l’Histoire l’a montré de nombreuses fois. Cette affaire pose la question des limites de la liberté d’expression. Celle-ci est une liberté fondamentale de la République Française depuis la Révolution de 1789. Elle est citée à l’article 19 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. Mais, comme toutes les autres libertés d’une République, celle-ci a des limites qui sont l’atteinte aux libertés d’autrui ainsi que certains principes définis par la loi comme l’incitation à la haine ou le trouble à l’ordre public. Ceci pousse à poser la question suivante : la liberté d’expression doit-elle tenir compte de ses effets et conséquences ? Doit-elle tenir compte du principe de réalité, c’est-à-dire de la réalité du contexte et des effets potentiels induits ? L’auteur des caricatures devait-il se laisser guider uniquement par ses convictions ou son désir de notoriété ? La réalité était que la parution de ces caricatures, dans le contexte créé par le film imbécile d’un américain débile et copte fanatique, devait nécessairement entraîner des violences. Les morts que ces violences ont provoquées, ainsi que les menaces exercées sur la vie des otages français détenus par al-Qaïda, sont là pour l’attester. Quel était l’objectif du caricaturiste : provoquer le rire ou l’humiliation ? Pourquoi ne s’est-il pas poser la question de savoir combien en riront et combien se sentiront humiliés ? Le caricaturiste avait forcément conscience de mettre en danger les français vivant dans les pays musulmans, ou alors il est totalement inconscient et donc dangereux. Malgré cette mise en danger, il n’a pas su résister à l’appel douteux de la publicité personnelle. Il n’a pas su mettre en pratique le principe de réalité. On peut aussi se poser des questions sur les motivations douteuses des acquéreurs du journal qui se sont rués sur le numéro. Toute provocation étant de même nature, en quoi la provocation du caricaturiste de Charlie-Hebdo est-elle différente de celles de Marine Le Pen ? Se poser ces questions relève de la critique et non de la censure, n’en déplaise à Libération et à Mr. Nicolas Demorand.

18 septembre 2012

l’eau dans le gaz !

Imaginez une épaisse pâte feuilletée avec un délicieux coulis de framboise entre ses feuillets. Comment faire pour récupérer ce coulis ? C’est à peu près le problème du gaz de schiste. Un schiste est une roche qui a pour particularité d'avoir un aspect feuilleté. Il s'agit d'une roche sédimentaire argileuse, ou bien d'une roche métamorphique. Seules les roches sédimentaires argileuses sont susceptibles de contenir du gaz. Le gaz de schiste est un gaz d’origine naturelle engendré par la décomposition de l’argile riche en matière organique. A l’inverse du gaz naturel que l’on trouve en nappe, il est piégé dans les roches poreuses où il se forme, entre 1500 mètres et 3000 mètres de profondeur. Il est donc nécessaire de fracturer ces roches pour pouvoir en extraire le gaz prisonnier des pores de la roche. La fracturation hydraulique est une technique, maîtrisée par les Américains, qui consiste à casser la roche à l’aide d’un mélange d’eau sous pression, de sable et de produits chimiques, provoquant une multitude de micro-fractures dans la roche. Un premier forage vertical est complété par un forage horizontal au niveau du gaz, permettant de faire remonter le mélange en surface par le puits vertical. Mais l’exploitation industrielle des gaz de schiste pose la question de son impact environnemental et sanitaire. Il semble que la fracturation hydraulique accroit les risques sismiques avec des magnitudes de l’ordre de 1,5 à 2,5 dans les régions concernées et des problèmes de contamination de la nappe phréatique par les produits chimiques employés comme additifs (biocides contre la prolifération bactérienne dans le puits et le fluide, lubrifiants pour favoriser la pénétration de sable dans les micro-fractures, détergents pour augmenter la productivité du puits). Les roches souterraines fracturées libéreraient également, outre le gaz de schiste, des métaux lourds ou de la radioactivité naturelle. Malgré ces risques, les Etats-Unis ont jugé stratégique l’utilisation de cette ressource pour réduire leur dépendance énergétique, créer un grand nombre d’emplois (600.000 aujourd’hui avec un horizon d’environ 1 million) et relancer ainsi la croissance économique. En France, les retombées négatives, via les pollutions engendrées identifiées dans le secteur des eaux de source et eaux potables, ont donné lieu à une forte opposition au sein du gouvernement, chez les écologistes et dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture. Les décisions récentes du Président de la République et du gouvernement annulant l’autorisation des forages de recherche porte un coup d’arrêt à cette technique. Or, si tout le monde s’accorde, même les compagnies pétrolières intéressées par cette technique, pour dire que la fracturation telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, notamment aux USA, présente des dangers importants, rien n’interdit de penser que les recherches dans ce domaine permettront de trouver des procédés moins dangereux et sans impact sur l’environnement (par air comprimé ?). Evidemment, si la recherche s’interrompt, il n’y aura jamais d’extraction de gaz de schiste en France, ce qui ne satisfait pleinement que les écologistes. Ainsi, après avoir détruit la filière des OGM (tous les chercheurs français dans ce domaine sont partis à l’étranger), raté la filière des panneaux photovoltaïques abandonnée à la Chine (la France a perdu 10.000 emplois), commencé la destruction de la filière nucléaire, voilà que la France se ferme la porte de la filière des gaz de schistes. La situation française actuelle n’est guère meilleure en ce qui concerne l’énergie éolienne. Les pays pionniers en ce domaine sont les Etats-Unis (47000 MW), l’Allemagne (29000 MW), les Pays-Bas (23400 MW), l’Espagne (15000 MW). La France, loin derrière, ne produit que 5600 MW. Il semble que la France soit douée pour rater les technologies nouvelles actuelles. La compétitivité du pays est déjà mauvaise, descendue au 21ème rang des pays mondiaux, et cette utilisation abusive du principe de précaution sur les sources énergétiques n’arrangera rien. La France n’est, décidément, plus le pays de l’innovation ! Plutôt que de tout interdire, il aurait mieux valu investir de façon importante dans la recherche de procédés non polluants pour permettre au pays d’avoir accès à l’énergie endogène des gaz de schiste. Ceci nécessite, évidemment, de mesurer d’abord l’importance des gisements pour savoir si l’investissement a une chance d’être rentable à terme. C’est du simple bon sens. Il est à craindre que la décision prématurée d’interdiction ne soit que purement idéologique, politicienne et clientéliste et qu’elle ait été prise sous la pression d’un parti écologiste dogmatique qui ne représente pas la majorité du pays mais prive cette dernière d’une source de progrès comme elle l’a été aux USA.

15 septembre 2012

Karl et la dette

« L'histoire de toute société jusqu'à nos jours est l'histoire des luttes de classes » écrit Karl Marx dans le Manifeste Communiste, rédigé peu avant les révolutions de 1848. K.Marx distingue deux classes fondamentales. D’une part, les capitalistes ou bourgeois, classe dominante qui possède le capital et dispose ainsi des moyens de faire travailler autrui à son profit. D’autre part, le prolétariat, regroupant les personnes qui n'ont pas de capital et vendent leur force de travail pour subsister. Il s'agit de la classe salariée. La vie sociétale se réduit à la lutte frontale entre ces deux classes. Le Parti Communiste, fondé en 1920, s’est emparé aussitôt de ce concept et en a fait son cheval de bataille jusqu’à aujourd’hui. Les syndicats, existant en France depuis 1884, ont emboités le pas au Parti communiste avec enthousiasme, trouvant dans ce concept la base d’une dialectique dogmatique qui perdure encore de nos jours au sein de la plupart d’entre eux. Rapidement, cette notion de lutte des classes s’est transformée en lutte anti-patronale, cette vision partisane créant dans le pays un sentiment général de méfiance envers les entreprises, faisant oublier que, sans elles, il n’y a pas d’emplois créateurs de réelles richesses nationales. De plus, les dirigeants des grandes entreprises sont rarement propriétaires du capital. Cette méfiance anti-entreprise a eu comme conséquence de créer chez les salariés une aversion au travail et une inflation des emplois protégés, c’est-à-dire de fonctionnaires ou assimilés. Il y a 5,3 millions de fonctionnaires en France en 2011. Au total, entre 1998 et 2009, l'emploi public a augmenté de 15 % alors que l'emploi total augmentait de 9,5%. C’est en 2011, et pour la première fois, que le nombre de fonctionnaires diminuait de 20 000, soit 0,4 % ! La France compte encore 90 fonctionnaires pour 1000 habitants alors que l’Allemagne en compte 50, soit presque deux fois moins. Dans le même temps, la détestation du travail chez les salariés a poussé les syndicats dans une revendication permanente de la réduction du temps de travail, journalier, hebdomadaire, annuel et sur la durée de la vie professionnelle. La quantité de travail produite par le pays a donc diminué de façon drastique à la suite de ces réductions : réduction du temps de travail journalier, loi actuelle des 35 heures hebdomadaires (qui coute actuellement plusieurs dizaine de milliards au pays), extension de la durée des congés payés, diminution de l’âge de la retraite, création des régimes spéciaux. La réduction de la quantité de travail produite ne pouvait avoir qu’une conséquence, la diminution de la production globale du pays et, à productivité pratiquement constante, l’augmentation du coût du travail avec son impact immédiat sur la compétitivité des entreprises. La moindre performance française à l’exportation, endémique depuis plusieurs dizaines d’années, s’est accompagnée d’une accélération marquée des importations, notamment de produits industriels. Le solde déficitaire des échanges extérieurs s’est ainsi fortement creusé. En 2010, dans le seul domaine industriel, le montant des exportations françaises de produits industriels ne représente plus que 93% du montant des importations de ce même type de produits. La part des exportations françaises de marchandises dans les exportations mondiales est ainsi passée d’un peu moins de 6% en 1970 à 3,5% en 2010. La France se trouve ainsi devant la Finlande, l’Irlande et la Grèce mais loin derrière les pays européens les plus performants avec un taux de croissance de ses exportations trois fois plus faible que celui de l’Allemagne ou des Pays-Bas. Bien entendu, ce déficit chronique de la balance commerciale a pour conséquence que le pays dépense plus qu’il ne gagne, d’où le creusement permanent de la dette. A cet effet s’ajoute les conséquences du « toujours plus de moyens », leitmotiv de tous les syndicats et une des origines des dépenses croissantes du système social, créé en 1944 par le Conseil National de la Résistance. Les besoins en financement de la Sécurité Sociale ont grandi à tel point qu’aujourd’hui ce système est, en grande partie, financé par l’emprunt. Ce mode de financement met le budget du pays systématiquement en déficit, le remboursement des intérêts de la dette étant devenu le second poste budgétaire juste derrière celui de l’Education Nationale, ce qui s’ajoute au creusement de la dette. Le déficit public de la France s'est définitivement établi en 2011 à 5,2% du produit intérieur brut (PIB). La dette publique a continué d'exploser, atteignant 85,8% du PIB en 2011 contre 82,3% en 2010, selon l'Insee. Voilà pourquoi on peut dire que Karl Marx est le père de la dette publique !

07 septembre 2012

La morale laïque

A peine le ministre de l’Education Nationale a-t-il évoqué l’introduction de cours de morale dans l’enseignement que le monde des intellectuels de tous bords et le monde des enseignants s’agitent « de façon brouillonne dans le filet des concepts admis ». Les uns ratiocinent sur le sens des mots, les autres se braquent – comme ils en ont l’habitude – contre tout changement de l’enseignement. A ce concert de critiques s’ajoute celui des syndicats de parents d’élèves qui s’insurgent que le ministre ne leur ait pas demandé leur autorisation préalable avant de faire cette annonce. Certes, les parents ont un rôle majeur dans l’enseignement de la morale qui passe, en priorité, par leur propre comportement. Il n’appartient pas au ministre de l’Education Nationale de dicter aux parents le rôle qu’ils doivent avoir auprès de leurs enfants dans ce domaine. Les critiques mélangent sans précaution les concepts de morale, d’éthique, de civisme, de discipline et tentent de nous faire croire que nous assistons à une révolution. On oublie que, déjà dans les années 50, existait en classes terminales un cours de philosophie qui comportait deux grandes parties : la logique et la morale dont le caractère laïque ne faisait aucun doute. Il existe déjà, disent certains, des cours d’instruction civique, confondant l’enseignement du fonctionnement des institutions et l’enseignement des comportements en société. La violence à l’école (et ailleurs) est, pourtant, le signe évident qu’il devient urgent de faire comprendre aux enfants qu’il existe des comportements inadmissibles lorsqu’on appartient à une communauté. Et si cette violence existe, c’est aussi le signe qu’il y a défection des parents dans ce domaine. Et l’on touche du doigt un problème que les cours de morale ne sauront résoudre : celui de la continuité entre la morale à l’école et dans la famille. Dès que l’on évoque les enfants violents ou délinquants, on entend dire qu’il ne s’agit que d’une très grande minorité qui ne justifie pas que l’on traite tous les enfants de la même façon. C’est oublier qu’il suffit de quelques uns pour détériorer la vie de la majorité. Mille voyous suffisent à rendre insupportable la vie des vingt mille habitants des quartiers sensibles de Marseille ou d’Amiens. L’école est une micro-société où les enfants se socialisent. Il est donc naturel que l’école apprenne à ces enfants les règles du comportement en société. Laïque cette morale ? Mille fois oui. Il ne s’agit pas, en effet, d’inculquer aux enfants une morale qui explique la conduite à suivre pour gagner un quelconque et hypothétique paradis, peuplé ou non de vierges, en respectant des préceptes inscrits dans le Livre, mais de leur expliquer les règles d’un comportement civil en société. Il s’agit d’un complément logique à l’instruction civique. Cette dernière décrit les droits du citoyen dans le cadre d’institutions, la morale laïque doit expliquer les devoirs du même citoyen dans le cadre d’une vie en société. Mais aujourd’hui l’école fait trop de choses. Les cours sur le code de la route ou de cuisine par exemple n’ont rien à faire dans cette école. Faisons de la place pour l’apprentissage de la morale, autrement important. Et formons les enseignants pour assurer le succès d’une transmission effective de la morale laïque entre l’enseignant et l’élève.