17 février 2012

Vous avez dit civilisation ?

Est-ce que le degré de civilisation d’une nation se mesure au niveau de culture de ceux qui la dirigent ? Cette question se justifie lorsque l’on se souvient de la déplorable polémique qui s’est instaurée entre le Ministre de l’Intérieur et un député. Le ministre a usé des termes de « civilisation supérieure », et il lui a été répondu par une comparaison hors de raison avec le nazisme et les camps de concentration. Cette polémique disqualifie leurs auteurs, le ministre comme le député S. Letchimy. A force de vouloir polémiquer plutôt que de réfléchir, les hommes politiques actuels délaissent la controverse intelligente pour préférer l’approximation et l’amalgame. Les attaques sur la personne remplacent le débat d’idées politique. Voilà le signe que la bêtise s’épanouit au sein du microcosme politique, faisant les délices de la société médiatique. La confusion s’installe dans l’utilisation de concepts tels que civilisation, nation, peuple, culture, système politique. Le mot « civilisation », venant du latin « civis » (citoyen, civil, civilisé) fait appel aux notions de société, de « peuple civilisé » connoté du contexte colonialiste, de manifestations intellectuelles et artistiques de la vie collective d’un ensemble d’individus permettant ainsi de parler de civilisation de l’Egypte pharaonique ou de civilisation Maya, mais également d’un ensemble de peuples relevant d’une même histoire comme la civilisation judéo-chrétienne ou musulmane. Le Robert donne de ce mot la définition du XVIIIe siècle, comme ce qui rend les individus plus aptes à la vie en société et comme processus historique de progrès (matériel, social, culturel) menant à un état social considéré comme avancé. Cette définition met le concept de civilisation en concurrence avec celui de culture. L’emploi du pluriel (« les civilisations ») renvoie à l’histoire alors que le singulier (« la » civilisation) renvoie, quant à lui, à une notion philosophique et de caractérisation globale, étape évolutive de la vie sociale et comporte implicitement un classement entre les peuples, ceux qui représentent « la » civilisation et les autres. Mais alors quels critères utiliser pour reconnaître qu’un peuple représente une civilisation ? Politiques, moraux, intellectuels, techniques ? Et quel est l’état de référence permettant de juger d’une évolution ? Et vers quoi ? Le concept de civilisation n’est, peut-être, utilisable qu’à postériori, c’est-à-dire dans une analyse historique. Le mot culture est souvent confondu avec le mot de civilisation. Un homme civilisé n’est-il pas un homme cultivé ? On peut prétendre qu’une culture est ce que l’éducation transmet de génération en génération, à savoir des valeurs et des croyances, religieuses ou non (à condition de lever l’ambigüité du mot « valeur »). Thomas Mann opposait culture et civilisation en prenant comme exemple la culture allemande et la civilisation française, ce qui laisse entendre qu’un peuple peut avoir une culture sans être considéré comme civilisé. Il existe, en effet, de par le monde, des cultures qui ne sont pas considérées comme civilisées par d’autres cultures parce que comportant des pratiques qui heurtent. Lorsqu’au sein d’une même nation, on évoque l’existence de cultures différentes, on fait appel à un concept clivant qui tend à souligner un communautarisme. C’est vraisemblablement ce que le Ministre de l’Intérieur avait en tête lorsqu’il prenait comme exemples de ce qu’il voulait dire, le voile intégral et les prières dans la rue. La réflexion se complexifie lorsqu’on veut préciser les similitudes ou les différences entre les concepts de culture et de système politique. En effet, un système politique est un ensemble de règles sociales et de comportement qui s’impose, d’une façon ou d’une autre (dictature, théocratie ou démocratie) aux individus appartenant à la même nation (concept juridique et historique). Certains systèmes mettent en pratique l’égalité homme/femme, d’autres non. En ce sens, on est en droit de dire que l’on préfère certains systèmes politiques à d’autres. C’est ce qu’il aurait été préférable que dise le ministre de l’Intérieur. En utilisant des concepts sans nuance et en simplifiant à outrance leur complexité, le débat sombre dans la caricature et souligne l’inculture politique.

13 février 2012

Révolte grecque

Les Grecs sont descendus dans la rue pour crier leur révolte devant l’effondrement de leur vie matérielle dû aux mesures successives et jamais suffisantes d’austérité mises en œuvre par le gouvernement. Le pays tout entier plonge dans la précarité, le chômage explose, la moitié de la jeunesse est sans travail, la dépression s’accentue et l’avenir reste bouché. La misère est la mère de la révolution française. Lorsque l’injustice devient insupportable, le chaos s’installe et nul ne peut prévoir ce qui peut en résulter. Le roi est décapité, les militaires prennent le pouvoir, le fascisme s’installe : tout peut arriver. La Grèce est le berceau de notre civilisation européenne et on ne peut rester indifférent au spectacle de son naufrage. On est, cependant, en droit de s’interroger sur les raisons de cet incroyable effondrement. Un tel désastre n’est pas sans cause. La Grèce est, depuis des décennies, un pays où la fraude fiscale est un sport national, un pays où les dépenses militaires sont hors de proportion avec le budget, un pays où les fonctionnaires sont pléthoriques, un pays qui a laissé la seule véritable activité (les armateurs) s’enfuir dans les paradis fiscaux, un pays où le citoyen le plus riche, à savoir l’Eglise, ne paie aucun impôt, un pays qui a dilapidé les fonds structuraux européens lors de son admission dans la zone Euro. Bref, un pays où le laxisme est devenu une vertu nationale. Il y a donc de multiples causes aux énormes difficultés du pays. Les principaux responsables sont, bien évidemment, les hommes politique grecs. Faute du plus élémentaire courage, ils ont laissé pourrir une situation sans issue autre que celle qui s’installe aujourd’hui. Ceci étant dit, l’aveuglement des instances européennes et internationales est stupéfiant. Comment expliquer que l’entrée dans la zone euro de la Grèce n’ait pas été assujettie à une remise en ordre drastique du système fiscal, à la mise en œuvre d’une lutte efficace contre la fraude fiscale et du système financier grec, comment expliquer l’aveuglement complice de la Commission européenne et des dirigeants européens lorsqu’ils ont accepté l’entrée de la Grèce dans la zone euro. Dans la situation actuelle et malgré les prêts consentis par l’Europe, la Grèce est étranglée par les plans d’austérité qui s’accumulent sur un peuple au bord de la révolution.

08 février 2012

L’enseignement en classes préparatoires

Le journal Le Monde a fait paraître un article portant sur les classes préparatoires aux Grandes Ecoles. Cet article était accompagné de témoignages de professeurs de ces classes tout-à-fait particulières. Je dois dire mon étonnement en lisant ce que disaient ces enseignants expliquant leur attention et leur soutien aux élèves dans l’épreuve difficile que représentent ces deux années de préparation aux concours d’admission. Ayant passé deux ans dans ces classes dans un grand lycée parisien au tout début des années soixante, ce n’est pas du tout le souvenir que j’ai gardé du comportement des professeurs de l’époque. Imbibés d’un ego démesuré, ces hommes (en majorité) et femmes considéraient leurs élèves au mieux comme les simples individus d’un troupeau sans âme, souvent comme de véritables souffre-douleur. Seuls les meilleurs d’entre nous pouvaient escompter quelques considérations, tous les autres servant de faire-valoir. Et lorsque vous aviez le malheur de venir d’une petite ville de la province profonde comme moi, le mépris s’ajoutait à la gamme de vexations permanentes. « Vous venez d’où, déjà ? ». Combien de fois ai-je entendu cette phrase lors de ce qui s’appelait « les colles », sorte d’examens hebdomadaires échelonnés tout au long de l’année. L’angoisse, parfois même la peur, était permanente. Heureusement, je n’ai passé que deux ans dans ces classes préparatoires de Math-sup et Math-spé (la Taupe). Quel ne fut pas mon étonnement, lorsque ma réussite à un concours d’une grande école d’ingénieurs a été connue, de voir ces mêmes professeurs qui m’avaient tant méprisé pendant deux longues années, se répandre soudain en louanges tout aussi excessives qu’avait été leur agressivité antérieure. Oui, décidément, en lisant les commentaires des professeurs d’aujourd’hui, je me dis que les faits ont bien changés et que, peut-être, l’humanité est devenue une qualité nouvelle du corps enseignant de ces classes particulières.

05 février 2012

Journée noire

Ce Samedi 4 Février restera une journée noire dans l’histoire de la civilisation humaine. L’ONU vient de montrer son impuissance. Il n’y a rien à faire, une dictature reste une dictature et les dictateurs se soutiennent. C’est ainsi que la Russie de Poutine et la Chine de Hu Jintao, contempteurs de la liberté des peuples, refusent obstinément toute condamnation du crime contre l’humanité perpétré par Bachar al-Assad en Syrie. On peut se demander quelles sont les raisons de cette ignoble obstination. De quoi peut avoir peur un dictateur, si ce n’est que de se faire renverser par son peuple et de perdre le pouvoir et, peut-être, la vie ? Tous les dictateurs du monde se sont ainsi comportés. Pourquoi en serait-il autrement pour le russe et le chinois ? Les révoltes arabes, même si celles-ci ne sont pas ce que le monde espérait, montrent qu’un peuple peut venir à bout de son tyran. Après la Tunisie, la Lybie, l’Egypte, la Côte d’Ivoire, le renversement du dictateur sanguinaire syrien, digne fils de son père, apparaît aux tyrans comme la ligne rouge dangereuse et impossible à franchir sans prendre le risque de voir surgir une contestation analogue des dictateurs russe et chinois. Le russe s’inquiète des répercussions possibles de la libération des peuples arabes sur la contestation en Tchétchénie, au Daguestan, en Ossétie du Nord, en Carélie, voire en Mongolie. Le chinois craint la même chose pour le Tibet. C’est donc la peur qui pousse ceux-ci à s’opposer à toute condamnation du bourreau Assad et à mépriser, du haut de leur morgue, le reste du monde et la vie des citoyens syriens. L'acceptation des massacres par des arguties inacceptables permet au russe de préserver son commerce des armes avec la Syrie du dictateur et l'approvisionnement en pétrole du chinois. La démocratie n’est pas sans reproche, mais le cynisme des dictatures fait vomir. L’histoire retiendra que Poutine et Jintao ont été les complices objectifs du massacre du peuple syrien en état de déréliction. Mais faisons un pari. Il n’existe aucun thaumaturge et le réalisme économique empêchera le reste du monde à prendre des mesures coercitives envers ces deux dictateurs.