02 mars 2006

Des fonds de pension français ?

Les députés de gauche ont refusé par idéologie, les députés de droite ont écarté par pusillanimité la création de fonds de pension « à la française »(c’est-à-dire dont les actionnaires sont français). Avec quelles conséquences ?
Le capital des (grandes) entreprises est souscrit sous forme d’actions. Celles-ci sont négociables sur le marché boursier. En France, une partie importante des actions est souvent détenue par une multitude de petits actionnaires indépendants (c’est ce qui se passe à chaque opération de privatisation, c’est le cas d’Arcélor et de Suez). À l’étranger, notamment aux USA et en Grande-Bretagne, les actionnaires sont regroupés dans un collectif appelés fonds de pension qui se comporte vis-à-vis de l’entreprise comme un actionnaire unique dont l’importance est directement proportionnelle à la part de capital détenu. Ces fonds de pension gèrent le portefeuille d’actions de leurs mandants sur le marché boursier. C’est ainsi que la moitié environ du capital des entreprises françaises du CAC 40 est détenue par des fonds de pension anglo-saxons, ce qui limite sérieusement la pertinence du « patriotisme économique » ! Lorsqu’un spéculateur ou un industriel tente d’acquérir une part du capital d’une entreprise, pour en prendre le contrôle, il lui est beaucoup plus difficile de réussir lorsqu’il a en face de lui un fond de pension organisé que lorsque le capital est dispersé auprès d’une multitude de petits porteurs. Une entreprise qui se trouve dans ce dernier cas est ainsi beaucoup plus exposée à une OPA dite hostile, c’est-à-dire réalisée sans le consentement des dirigeants. La conséquence de l’attitude des députés français est d’exposer les entreprises nationales à ces OPA et de voir ainsi le capital industriel et, ce qui est plus grave, son management, passer dans des mains étrangères. Ainsi, l’avenir de l’industrie française est d’être dirigée par l’étranger. Merci, messieurs les parlementaires !
Mais, plus profondément, ces opérations et les mesures nationales de protection recherchées par les gouvernements (que ce soit en France ou en Espagne, par exemple) posent la question de la réalité du sentiment européen. Les sentiments nationaux sont toujours beaucoup plus forts que celui d’une appartenance à une entité unique et commune (l’Europe) et les égoïsmes nationaux seront toujours (en tout cas pour très longtemps encore) prioritaires sur les projets de construction d’une Europe politique (et donc, économique).
De façon plus particulière, la fusion Suez-Gaz de France, opération protectionniste à n’en pas douter, aura vraisemblablement lieu malgré l’opposition de principe et pavlovienne des syndicats. Le côté positif de cette opération est de doter le pays d’un des plus grands groupes mondiaux dans le domaine de l’énergie, secteur stratégique s’il en est. Il va cependant être instructif de voir comment va se dérouler la cohabitation des fonctionnaires (parmi les plus privilégiés de France) avec des salariés du secteur privé. Combien de temps va-t-il falloir aux syndicats pour réclamer l’alignement du statut des salariés de Suez sur celui des fonctionnaires ? Voilà qui nous promet des lendemains qui chantent !

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