12 juin 2007

Suicides ?

Vous avez nécessairement entendu parler des suicides d’employés qui se sont produits à EDF ou chez Renault et PSA. Il semble qu’il y ait un consensus pour rechercher la cause de ces actes désespérés dans les conditions de travail. La question qui me semble devoir se poser est celle-ci : la responsabilité incombe-t-elle aux « conditions de travail » c’est-à-dire au type de management ou bien, comme certaines voix l’ont laissé entendre, s’agit-il d’une prédisposition ? Pour approcher la réponse, je vais tenter d’analyser l’environnement du travail que j’ai connu au sein d’un grand cabinet de conseil, d’origine française. Je suis entré dans la carrière de consultant relativement tard puisque ce fut, pour moi, une seconde carrière. J’ai quitté la position de plus jeune directeur de mon ancienne société pour le statut de « consultant âgé » chez mon nouvel employeur. Ce seul changement de « statut ressenti » fut un traumatisme. J’ai physiquement ressenti le changement de regard que les collègues portaient sur moi. De candidat potentiel à la plus haute fonction de l’entreprise, je devenais un anonyme à l’avenir douteux. Ce traumatisme premier ne relève ni des conditions de travail ni du management. Sa source se trouve plutôt dans l’évolution d’une société qui regarde avec suspicion tout individu dont l’âge lui supprime l’attribut de « jeune prometteur ». Dans la profession de consultant, il faut respecter une image type,stéréotypée, qui s’impose à tous et qui est même parfois décrite dans le détail dans les documents d’entreprise, ce qui était le cas dans le cabinet de conseil où j’exerçais. Mais le respect de l’apparence n’est pas suffisant. Il s’y ajoute des non-dits comme l’obligation de la jeunesse. De même que l’on reconnaît au premier coup d’œil un garde du corps ou un haut fonctionnaire énarque, le consultant doit avoir une apparence qui permet de l’identifier immédiatement, dont la relative jeunesse fait partie. Ce fut ma première difficulté dans ce métier et la première cause d’un « stress » qui ne devait pas me quitter. D’abord parce qu’on se sent physiquement agressé et parce qu’on se sent immédiatement fragilisé par le fait d’être en position « d’expulsable ». La première cause mais certes pas la dernière. Il faut ajouter le « management par le stress », règle obligatoire de fonctionnement dans ce genre d’entreprise. Cette règle est extrêmement simple : on exige de chacun d’atteindre au moins deux objectifs qui s’avèrent contradictoires. Si vous ajoutez à cela la règle complémentaire et indissociable du « up or out » (tu dois faire toujours mieux ou tu es foutu à la porte), on est constamment plongé dans un stress qui devient votre meilleur compagnon. Le sentiment d’insécurité et de mise en danger devient permanent et prégnant. Enfin, à cela s’ajoute le manque total d’esprit collectif propre à ces sociétés de conseil, ce qui provoque un sentiment de complète solitude. Angoisse et solitude, les deux ingrédients majeurs de cette vie de consultant et qui doit évidemment exister dans bien d’autres entreprises. Je comprends parfaitement que lorsqu’un individu fragile se trouve confronté à une telle situation, il sente naître des envies de suicide (pudiquement, les anglo-saxons ne parlent pas de suicide mais de « burn out ») et que certains y succombent. Enfin, certains managers, imbéciles, sans charisme et sans imagination, imbus d’eux-mêmes, mégalomanes, arrivistes et finalement assez lâches, ne savent exercer leur autorité et leur sentiment de puissance que lorsqu’ils imposent à leurs collaborateurs ce type de management à défaut de pouvoir leur transférer un quelconque savoir et une réelle motivation. Les suicides en milieu de travail n’ont rien d’étonnant et sont sûrement plus nombreux que l’on ne croit. La génétique n’a rien à y voir.

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