20 mai 2008

L’immédiat au détriment de l’avenir

Paraphrasant Cioran, la France est comme une putain dans une ville sans trottoirs : elle ne sait plus où aller. En dehors d’une petite minorité de favorisés qui se moquent éperdument du sort du reste de la population (les addicts des stock-options, les spéculateurs et les traders, les héritiers de grandes fortunes, …), les Français vivent dans l’angoisse du lendemain et, en conséquence, limitent leurs préoccupations au très court terme, ce qui les prive de toute envie de construire des projets. Sans projet, l’avenir se vide de tout intérêt et, seul, le présent accapare les actes et les pensées. À travers l’opacité du présent, les contours de l’avenir sont difficiles à distinguer. Les difficultés du présent agissent comme un phare qui aveugle et plonge le futur proche dans une obscurité profonde et menaçante. La situation économique de la majorité de la population devenant de plus en plus difficile, le présent maintient ainsi les Français dans l’obsession du jour d’après. La morosité actuelle n’a pas d’autre cause. Prisonniers du cocon de l’actuel, les individus se concentrent uniquement sur leurs anxiétés personnelles en gommant toute attention à un intérêt général qui ne coïnciderait pas exactement avec leurs besoins immédiats. L’individualisme et l’égoïsme s’exacerbent. La lutte des classes projetait les hommes vers un avenir où les injustices avaient disparu. Ne parlait-on pas de lendemains qui chantent ? Aujourd’hui le mécontentement populaire, nourri davantage de jalousies et d’angoisse que d’envie de changements, se contente de réclamer des améliorations catégorielles immédiates. Le rôle du politique étant de faire partager une vision de l’avenir et d’expliquer les actions nécessaires pour y parvenir, cette focalisation sur l’immédiat a pour conséquence un éloignement, une méfiance, une opposition grandissante du peuple envers le politique. Il faut bien admettre que le politique ne fait rien pour sortir le peuple de sa morosité égocentrique. L’opposition reste incapable de se forger une conviction et ne peut produire qu’un texte dit « de refondation », véritable prosopopée abstruse, qui n’est qu’un amalgame de banalités contradictoires n’ayant pour objectif que de « ratisser » large comme l’on dit (le parti socialiste est dit réformiste, message pour F. Bayrou ; il porte un projet de transformation sociale radicale, message pour O. Besancenot), et continue de s’enliser dans le jeu des ambitions démesurées personnelles. La majorité et le gouvernement, quant à eux, sont incapables de formuler clairement la voie dans laquelle ils engagent le pays et ne comprennent pas qu’une suite de réformes non situées dans une vision d’avenir est plus anxiogène que mobilisatrice. Lorsque ceux qui les guident ne savent pas où ils vont, il n’est pas étonnant que les Français, en état de déréliction, ne croient plus en l’avenir. Il n’y a pas de bon vent lorsqu’on n’a pas de port. On peut craindre que l’individualisme ne conduise à l’isolement qui, à son tour, va générer un sentiment d’inquiétude qui poussera l’individu à rechercher autour de lui ceux qui lui ressemblent, développant ainsi le phénomène communautaire. La communauté n’est pas nécessairement dangereuse lorsqu’elle est le lieu de construction de projets et de manifestations d’entr’aide. Par contre, lorsque la communauté développe des sentiments obsidionaux et devient un lieu d’affrontement avec la société, alors cette dernière est en danger.

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