29 mars 2011

Une société frénétique

La nature, que nous avons pris l’habitude de détruire, a besoin du temps pour vivre. Il lui faut 200 millions d’années pour fabriquer du pétrole, alors qu’il suffit de 200 ans à l’homme pour le brûler. Il faut 1000 ans à la circulation thermoaline pour faire le tour de la terre, alors que l’homme essaie de gagner quelques minutes pour faire la même chose en quelques jours. Il faut environ cinquante ans pour qu’une graine donne un arbre, alors que les hommes ont supprimé la moitié des grandes forêts en vingt ans. Le temps est devenu un ennemi de la société d’aujourd’hui, alors qu’il était un élément consubstantiel de la vie au siècle dernier. La société qui vivait au rythme des saisons vit aujourd’hui l’œil rivé sur la montre. Elle est organisée autour de l’idée que le gain de temps est un gain tout court. Prendre du temps est une perte de temps et le temps est une perte d’argent. Tous les processus de fonctionnement de la société sont encombrés de moyens de contrôle qui, tous, cherchent à traquer les pertes de temps. Dans le monde du travail, cela entraîne un stress du salarié et des recherches systématiques de contournement de ces contrôles, ce qui crée des dysfonctionnements justement là où l’on s’efforçait de les faire disparaître. La recherche systématique des gains de temps dans l’industrie a conduit à mettre en place ce qui s’appelle le juste-à-temps (ou les flux tendus). La catastrophe japonaise vient de nous montrer les limites de cette organisation car la suppression des stocks et l’arrêt de certaines usines de sous-traitants, détruites par le tsunami, a conduit à l’arrêt presque total de l’industrie automobile nippone et provoqué de sérieuses difficultés dans les transports aériens et dans les industries de produits électroniques dans le monde entier. La pression des actionnaires pour obtenir un retour sur investissement, non seulement de plus en plus importants mais également de plus en plus rapidement, pousse les grandes entreprises à détourner une grande partie de leurs bénéfices vers la spéculation financière au détriment d’investissements sur des projets à long terme et sur la recherche et développement. La spéculation financière qui a conduit le monde au désastre est basée sur l’immédiateté et la recherche du profit rapide, quasi instantané, par l’utilisation de logiciels de prise d’ordre fonctionnant au millième de seconde. L’ordinateur est devenu le principal acteur boursier en 1987 ce qui a immédiatement provoqué une chute de 10% à la bourse de Wall Street en une seule séance ! L’agriculture, activité en relation étroite avec la nature, est entraînée malgré elle vers des comportements spéculatifs contradictoires avec la contrainte du temps qui s’impose à l’agriculteur lui faisant perdre ainsi toute possibilité de gestion à terme quand le prix de sa production varie quotidiennement dans de grandes proportions. La vie politique est profondément gangrenée par l’obsession à court terme de leur réélection. Les réformes de long terme (fiscalité, code pénal, recherche, réindustrialisation, énergie…) sont toujours repoussées car ressenties comme électivement dangereuses. Les décisions politiques précipitées se prennent, sans réflexion approfondie, sous la pression de l’actualité immédiate et la recherche d’un bénéfice aléatoire et opportuniste à court terme. La vie quotidienne de chaque individu est, elle aussi, guidée par cette recherche effrénée du gain de temps, ce qui fait les beaux jours de la restauration rapide, des plats cuisinés industriels et … de l’obésité. L’écriture d’une lettre a été remplacée par l’utilisation abusive du courriel, pire du SMS. Les intérêts économiques à court terme prévalent toujours sur les effets sanitaires à long terme. L’exploitation de l’or par le cyanure, la production des déchets radioactifs de l’industrie nucléaire, la mise sur le marché de produits chimiques sans que l’on en connaisse les effets à long terme et leurs interactions, les déchets proliférants et toxiques des produits électroniques jetés au lieu d’être réparés grâce à l’obsolescence programmée, toutes ces activités sacrifient le long terme sur l’autel des gains immédiats. La vie culturelle est, elle aussi, la victime de cette course à l’éphémère. Les librairies sont encombrées de livres futiles et mal écrits qui ne durent qu’une semaine, les ondes croulent sous les promotions de disques d’une médiocrité ahurissante et dont la vie ne dure que le temps de les jeter à la poubelle, la télévision nous inonde de productions d’une insondable bêtise tournées en quelques jours par des intervenants sans talent. La presse gratuite, qui tue la presse traditionnelle, donne l’illusion de l’actualité à coup de simples titres issus des dépêches de l’AFP, de publicités envahissantes et de grilles de sudoku. Sénèque disait : « Tant qu’on attend de vivre, la vie passe ». Aujourd’hui, l’homme ne prend plus le temps de vivre. Immédiateté, précipitation, superficialité … quand vous nous tenez !!

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