27 mai 2011

Une rencontre

Une jeune femme brune, cheveux longs, jupe longue et sandales, a croisé mon chemin ce matin, rue de Lagny à Paris dans le XXème arrondissement. Un bébé accroché sur son ventre, elle portait un gros sac en bandoulière et marchait d’un pas hésitant. En nous croisant, j’ai remarqué que l’enfant avait des tâches brunâtres sur les joues et que la femme soutenait sa tête avec la main. L’enfant était-il souffrant, malade ? Avançant dans la rue de Lagny, cette femme ayant soudain fait demi-tour, repasse devant moi et marche d’un pas rapide sur ses sandales à talons plats. Intrigué par son attitude, je me mets à la suivre sans très bien en comprendre la raison. Elle tourne dans le boulevard de Charonne, fait demi-tour au bout de quelques mètres et repart en direction de la place de la Nation. Je me mets à la suivre. Où va-t-elle ? Arrivée sur la place, elle se dirige vers le boulevard de Picpus dont elle emprunte les premiers cent mètres avant de changer de direction une fois encore et de partir vers la rue de Picpus. Elle marche d’un pas parfois décidé, parfois hésitant. Elle s’arrête de temps en temps pour boire à une bouteille qu’elle tire de son sac, tout en maintenant la tête de l’enfant. Je suis de plus en plus mal à l’aise devant sa conduite et sa façon de se déplacer, donnant l’impression qu’elle ne sait pas où aller. De la rue de Picpus, elle oblique soudain vers la place Daumesnil et rejoint le square de l’ancienne gare de Reuilly, près de l’avenue du même nom. Elle entre dans le square, hésite sur le chemin à prendre, regarde autour d’elle, traverse la pelouse et ressort du square sans s’être arrêtée. Je la suis toujours avec de plus en plus de mal. Elle s’engage dans la coulée verte en direction de la Bastille. Sur l’allée, elle fait plusieurs fois demi-tour, s’arrête et reprends sa route en direction de la Bastille, tenant toujours la tête de l’enfant. Elle me donne l’impression d’une femme errante qui ne sait où diriger ses pas. Est-elle en fuite ? A-t-elle enlevé l’enfant ? Je cherche en vain du regard un représentant de l’autorité publique à qui je pourrais faire part de mes interrogations et de mes inquiétudes pour l’enfant. Elle marche devant moi sur la coulée verte et accélère le pas. J’ai du mal à la suivre. Elle s’arrête un moment pour remplir une bouteille de l’eau d’une fontaine et repart de son pas à la fois hésitant et décidé. Au détour d’un coude, je la perds définitivement de vue. Je suis décidément mal à l’aise. Aurais-je dû l’aborder ? De retour chez moi, la pensée de cette femme, que j’ai crue en détresse, ne me quitte pas. Cette femme est-elle en fuite ou n’était-ce qu’une mère qui promenait son enfant ? L’interrogation ne me quitte pas. Combien de destins tragiques croisons-nous ainsi dans la vie, sans le savoir ? Combien de tristesses et de solitudes ? Combien de fuites et de désespérances ? Combien de tragédies derrière les portes et fenêtres ? L’espèce humaine est, à la fois, grégaire et solitaire. Nous sommes un oxymore vivant : un troupeau d’anachorètes.

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