06 décembre 2005

Le dernier mot à la mode

"Tout ce qui peut être l’objet du désir humain peut (doit) devenir un produit marchand ". Telle est la devise du libéralisme du début du troisième millénaire. Le bras armé de ce libéralisme est l’entreprise transnationale (ETN) qui recherche en permanence "l’allocation optimale de ses ressources". Au nom de cette recherche, elle déplace ses capitaux d'un marché boursier à un autre en accumulant les profits de ces opérations dans les banques des paradis fiscaux, elle déplace ses ressources de production dans les pays où les lois sociales et fiscales sont les plus avantageuses, c'est-à-dire les moins contraignantes, elle déplace ses ressources humaines en leur proposant des délocalisations inacceptables ou en les jetant à la rue lorsqu'elle ne sait plus qu'en faire au nom de "l'amélioration la productivité". Le discours marketing qu'utilisent ces entreprises cherche à fabriquer une image virtuelle qui leur permette de se cacher aux yeux des citoyens et de s'attirer l'approbation béate du consommateur berné. Ce discours s'articule sur deux idées majeures : le consommateur est roi, le produit est éthique. La royauté du consommateur s'affirme à travers la satisfaction, au moindre coût, de ses moindres désirs, même ceux qu'il ne manifeste pas ! Tel est le discours. Dans la réalité, le consommateur n'a que le droit d'acquérir les produits uniformisés des entreprises transnationales et monopolistiques (ou presque). La diversité des appellations cache mal l’uniformité des produits. Mais asservir le consommateur dans son acte d'achat n'est pas suffisant. Il faut aussi qu'il ne se pose pas trop de questions sur les conditions de fabrication du produit permettant d'abaisser les coûts. Les médias ont trop parlé des enfants esclaves, du travail forcé, pour qu'il ne devienne pas urgent d'endormir les scrupules naissants du consommateur. C'est pourquoi les entreprises ont inventé "le produit éthique". C'est le dernier concept à la mode. Un produit éthique est un produit dont on affirme, sans le prouver, qu'il a été fabriqué en respectant un minimum des droits de l'homme. L'entreprise a d'abord investi la décision et la réflexion du consommateur. Puis elle a annulé pratiquement ses possibilités de choix. Elle s'approprie aujourd'hui sa conscience pour la manipuler. L'éthique est le dernier assaisonnement à la mode des nouilles et le dernier nettoyant des baskets. Dans une société qui n'en a plus, la morale se réfugie dans les condiments. Au-delà de la stupéfaction indignée qu'entraîne l'usage de ce mot dans un tel contexte, il faut s'attarder un instant sur les raisons d'un tel usage abusif. Le monde est coupé en deux, les riches et les pauvres, l'occident et le reste du monde, les esprits satisfaits à l'abri de leur richesse et les inquiets, Davos et Porto Alegre, ces différents découpages se recouvrant parfaitement. Mais les inquiets, les pauvres, les exploités s'énervent, s'organisent et se font entendre. Il faut bien trouver un moyen de les calmer, si possible sans frais. C'est ainsi qu'a germé dans l'esprit d'un manager ou d'un consultant transnational (CTN), l'idée d'associer les mots produit et éthique. Le message marketing que l'on veut faire passer est celui d'une entreprise soucieuse de moralité, sinon de morale, qui rejette toute pratique contraire aux droits de l'homme dans ses processus de fabrication. On tente de faire croire que l'entreprise transnationale est devenue le porte-parole de pratiques morales, excluant l'exploitation des enfants, les conditions de travail déshonorantes, le travail forcé, la dégradation de l'environnement (la publicité actuelle de MacDonald sur son « combat » contre l’obésité est une véritable provocation). Non seulement les pauvres sont pauvres, mais ils sont censés être idiotement crédules. Le marketing, chevau-léger du commerce international, fait preuve d'une imagination sans borne pour essayer de donner du contenu à l'expression d'entreprise citoyenne ! Après tout, les entreprises transnationales ont bien remplacé les mots "impérialisme" et "néo-colonialisme" par l'expression "développement des pays pauvres". On n'est plus à un kidnapping linguistique près.

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