27 septembre 2008

Mondialisation et déréliction

Un processus de production (de produits ou de services) est une suite d’activités qui s’enchaînent, l’objet de la production acquérant, à chaque stade, une valeur plus élevée. D’où le nom de « chaîne de valeur » donnée classiquement à ces processus. À la fin du XXème siècle, les sociétés de consulting prospéraient sur le concept de « Business Process Re-engineering », méthode d’analyse des chaînes de valeur cherchant à optimiser chacune de leurs étapes. « Optimiser » est un verbe politiquement correct qui veut dire réduire les coûts de fonctionnement et réduire les délais, pour faire mieux pour moins cher. Ces analyses débouchaient sur des recommandations touchant les activités constitutives des processus de conception et de production. L’entreprise qui acceptait ces recommandations se trouvait alors impliquée dans un projet de réorganisation interne qui imposait la compréhension et l’adhésion de son personnel. Cette dernière condition, toujours difficile, était cependant à gérer dans un cadre interne où chacun se comprenait comme le maillon d’un ensemble qu’il était en mesure d’appréhender dans sa totalité, au sein de l’atelier, de l’usine, de la région voire du pays, et ceci grâce à la communication d’entreprise mais aussi à la communication informelle qui s’établit entre les hommes partageant un même lieu de travail. Les phénomènes de délocalisation du XXIème siècle ont complètement changé la problématique. La mondialisation des marchés et la recherche permanente d’une diminution de coûts, souvent pour le seul bénéfice d’une rentabilité toujours accrue des investissements financiers, a conduit à éclater les chaînes de valeur et à répartir les activités des processus dans différents pays de la planète. Ainsi, l’amélioration globale de la productivité et de la rentabilité d’un processus peut remettre en cause l’existence d’un ensemble d’activités, formant un maillon du processus dans un pays donné, alors que ce maillon fonctionne tout à fait correctement. La décision de transformation est prise très loin des hommes mis en cause et reste donc incompréhensible et ressentie comme parfaitement injuste. Le projet de réorganisation se fait alors dans la contrainte et la confrontation et se termine généralement dans le drame et un sentiment de déréliction grandissant comme une plante rudérale. La première victime est le salarié, la seconde est l’esprit d’entreprise, moteur essentiel de la motivation. Cette recherche frénétique d’une rentabilité toujours plus importante est le fruit de la spéculation financière tout aussi frénétique qui gangrène l’économie réelle et détruit aujourd’hui le système bancaire. Devant les profits déraisonnables et immoraux des spéculateurs, les actionnaires exigent de l’entreprise des versements de dividendes qui soient comparables aux gains spéculatifs, c’est-à-dire sans relation avec l’efficacité industrielle réelle. Pour y arriver, les managers d’entreprise n’ont pas d’autre voie que de dilapider l’investissement dans le rachat de leurs propres actions et la réduction des moyens, notamment de ceux qui demandent le moins d’investissements, c’est-à-dire les hommes. C’est ce qui s’est passé par exemple (parmi bien d’autres) à Gandrange où Lakshmi Mittal, PDG d’ArcelorMittal, a licencié près de 600 personnes pour fermer une usine à rentabilité tout à fait normale. Dans un processus mondialisé, où les différents éléments des chaînes de valeur se trouvent dispersés sur la planète, ces éléments deviennent les simples pions d’un jeu d’échec que l’on déplace ou que l’on sacrifie au nom d’une stratégie prise loin des hommes.

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