01 novembre 2008

La conscience du monde en physique

La physique possède un Graal : l’équation « du tout » qui permettrait d’expliquer le monde depuis ses origines jusqu’à sa fin en passant par ce qu’il est aujourd’hui. La tâche est extrêmement complexe et difficile, mais elle repose sur une conviction : le monde est un objet logique dont l’évolution relève d’une loi unique. Cette quête a conduit les plus illustres physiciens à élaborer des théories, à la fois révolutionnaires à leur époque et généralisant les connaissances antérieures, comme la théorie de l’électromagnétisme de Maxwell ou la théorie de la Relativité Générale d’Einstein. Chacune de ces théories a élaboré des équations les plus compactes, et donc les plus belles, pour expliquer un aspect du monde. Les équations de Maxwell sont mathématiquement trop complexes pour être écrites ici, mais qui ne connaît pas la célébrissime équation d’Einstein E = mc2 ? Au début du siècle précédent, âge d’or de la physique théorique, est née une nouvelle théorie dont l’ambition était d’expliquer le fonctionnement du monde des particules élémentaires : la physique quantique. Cette théorie est devenue un paradigme et possède, elle aussi, son équation étendard : l’équation de Schrödinger ou fonction d’onde. La grande différence entre cette équation et les autres tient dans le fait que les équations de la physique classique proposent des certitudes, alors que la physique quantique ne propose plus que des probabilités. C’est-à-dire que cette physique nous dit qu’il est impossible d’avoir des certitudes sur le monde qui nous entoure. Tout ce que l’on peut espérer est de savoir que le monde a des chances de se trouver dans tel ou tel état. Voilà qui heurte le sens commun, puisque le monde que nous voyons nous apparaît dans un état déterminé, sans aucun doute possible. La fonction d’onde nous dit qu’on ne peut pas savoir où se situe l’électron d’un atome ni dans quel état se trouve cet atome. On ne dispose plus que de probabilités pour que cet atome soit dans tel ou tel état. De la même façon, il est impossible de savoir si l’électron est une onde ou une particule. Une expérience célèbre a démontré ce fait. Si l’on fait passer un faisceau d’électron à travers un écran possédant deux fines fentes proches l’une de l’autre, on obtient sur un écran placé à la suite du premier ce que l’on appelle un réseau d’interférences, caractéristique indiscutable d’une onde. Mais, si l’on place un appareillage permettant de savoir par laquelle des deux fentes passent les électrons, les interférences disparaissent pour donner des impacts distincts sur l’écran de lecture, caratéristiques d’un faisceau de particules. Onde ou particule ? Les deux à la fois. Mais dans sa conformation ondulatoire, il est impossible de localiser précisément l’électron. On ne possède plus que des probabilités de localiser l’électron à tel ou tel endroit. En termes plus scientifiques, on dit que la causalité déterministe est remplacée par une causalité probabiliste. Une autre expérience, dite de pensée car fictive, est celle du célèbre chat de Schrödinger. Le système expérimental imaginé est constitué d’une boîte contenant une source radioactive, un détecteur de particules comme un compteur Geiger, une fiole contenant du cyanure et un chat vivant. Si le détecteur enregistre une particule issue de la désintégration de l’atome, la fiole se brise, le poison se répand et le chat meurt. Vous comprenez pourquoi l’expérience est fictive !! Que nous dit la fonction d’onde ? Tant que l’on ne regarde pas dans la boîte, la fonction d’onde du système est une superposition des possibilités (l’atome se désintègre, l’atome ne se désintègre pas), donc une superposition des états. Tant qu’on ne regarde pas dans la boîte, cette superposition est réelle : il y a un échantillon radioactif qui, à la fois, se désintègre ET ne se désintègre pas, une fiole de poison qui, à la fois, se brise ET reste intacte, un chat qui, à la fois, est mort ET vivant. Invraisemblable ? Non, car il reste heureusement vrai que, dès que l’on ouvre la boîte, on constate l’état vital du chat. Mais, ce faisant, la fonction d’onde se modifie et les probabilités fournies changent, donnant une probabilité de cent pour cent à l’état constaté. Cette expérience montre la discontinuité fondamentale et l’aporie entre le monde subatomique et le monde macroscopique qui est le nôtre. Devant cette incompatibilité apparente, certains physiciens ont fini par accepter le fait qu’il nous sera toujours impossible de connaître l’état du monde en dehors de nos observations. C’est l’interprétation dite de Copenhague. D’autres sont allés encore plus loin en affirmant que le monde tel que nous le connaissons n’existe que parce que nous le regardons, et que c’est la prise de conscience du résultat qui modifie la fonction d’onde ! L’onde de Schrödinger devient une « onde de conscience ». Il est impossible de parler du monde mais, uniquement, de ce que nous percevons, renonçant à jamais à la connaissance intrinsèque de ce monde. Vous qui lisez ce texte (avec intérêt, j’espère !), vous avez la certitude qu’il existe mais vous ne pouvez pas avoir la certitude que j’existe tant que vous ne m’avez pas vu ! Actuellement, la fonction d’onde qui décrit le système composé de vous-même en train de lire et de l’auteur de ce texte me décrit comme étant, à la fois, existant ET non existant. Il faut vous y faire !! La réciproque est d’ailleurs vraie. La fonction d’onde qui décrit le système me contenant en train d’écrire cet article et vous-même, lecteur attentif, m’indique que vous avez une chance sur deux d’exister ET une chance sur deux de ne pas exister. Nous verrons bien ce qu’il en est lorsque nous nous rencontrerons !!
Tout ceci a l’air quelque peu ésotérique. Pour ma part, je suis de ceux qui pensent que la physique quantique est incomplète et que viendra un jour le physicien qui restaurera dans sa plénitude le principe de causalité objective. Pourtant, êtes-vous certain que le monde que vous regardez est exactement le même que celui que, moi, je vois ? Et comment en apporter la preuve ? Voilà une question qui me hante depuis toujours. Le bleu que vous percevez est-il, en tous points, identique à celui que je vois ? Comment le savoir ?

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