20 avril 2010

Nous sommes tous dangereux

Il y a quelque temps, j’évoquais certaines idées et réflexions sur les notions de pénibilité et de dangerosité du travail, montrant combien ces concepts étaient difficilement opératoires (titre de l’article : Un impossible concept – 31/03/2008). Or, aujourd’hui, la notion de dangerosité fait son apparition dans le monde de la justice à qui l’on demande de la prendre en compte avant de décider de la libération, anticipée ou non, d’un détenu. Apporter la preuve que quelqu’un est coupable est, en principe, totalement objectif puisque s’appuyant sur la possibilité de la preuve. Mais comment prouver qu’un individu est dangereux ? L’avis d’un expert psychiatrique peut-il être considéré comme une preuve ? Un juge ne peut que très difficilement réfuter une preuve objective, mais il lui est tout-à-fait possible de refuser l’avis d’un expert dont l’infaillibilité est utopique. Possible, mais sur quels critères ? Les jugements sur lesquels s’appuie un expert pour formuler son avis ne peuvent évidemment faire partie d’une liste exhaustive incorporée à la loi. Ce qui veut dire que la
« science » (?) qui s’appelle la criminologie se substitue à la loi et que le juge devra s’en remettre à elle. Est-ce raisonnable ? Ne sommes-nous pas tous suspectés d’être dangereux ? L’extension de la vidéosurveillance dans tout l’espace public ne montre-t-elle pas que tout individu mérite d’être contrôlé parce qu’intrinsèquement dangereux ? Significatif est, d’ailleurs, le glissement sémantique du vocabulaire puisque la vidéosurveillance est devenue la vidéo protection. Il ne s’agit pas de surveiller mais de protéger contre le danger que représente tout individu. Déjà, la possible et actuelle localisation de tout propriétaire de téléphone portable permet de suivre ce dernier presque pas à pas. Bientôt, chacun sera suivi en permanence, rendant ainsi possible la
« traçabilité » du citoyen comme n’importe quelle marchandise. Dans ce mécanisme, il est visible que le Ministère de l’Intérieur prend le pas sur celui de la Justice, que le policier devient plus important que le juge, que le droit cède le pas au soupçon. Dans une enquête, le juge d’instruction honnête (est-ce un pléonasme ?) se doit de mener son enquête à charge et à décharge en toute objectivité. Le projet de suppression du juge d’instruction prévoit de donner l’enquête à charge au Procureur de la République, laissant à l’avocat de la Défense le soin de mener l’enquête à décharge. On voit immédiatement le danger. Tous les prévenus n’auront pas les moyens de recourir aux services d’un avocat autre que commis d’office, instituant ainsi une « justice à deux vitesse ». D’autre part, puisque le Parquet dépend hiérarchiquement du Ministre de la Justice, donc du Gouvernement, l’impartialité du procureur n’est pas garantie lors d’affaires impliquant des personnalités gouvernementales ou proches de celles-ci. Ce risque s’accompagne d’ailleurs de la tendance à la dépénalisation des affaires avec l’introduction de la déclaration de culpabilité qui supprimerait le passage devant le Tribunal pénal. La suppression du juge d’instruction, si elle a lieu, doit nécessairement s’accompagner de l’indépendance du Parquet vis-à-vis du Gouvernement. La nomination du Procureur ne doit pas être le fait du Ministère de la Justice, mais doit relever de la responsabilité du peuple c’est-à-dire de ses représentants au Parlement.

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