07 janvier 2008

Le profit et la morale

En France, et contrairement à d’autres pays, le mot « profit » crée immédiatement des réactions de suspicion voire d’agressivité démesurée. Il porte en lui les relents d’une lutte de classes surannée. C’est pourquoi les syndicats français, qui n’ont pas encore fait leur révolution culturelle, et l’extrême gauche s’emparent régulièrement du sujet pour y puiser à profusion des causes de revendications populistes en considérant le profit comme immoral. Objectivement, le profit est une rémunération variable, incertaine mais espérée, du risque pris par le détenteur d'un capital investi. L’existence du profit permet de rémunérer le risque pris par le détenteur du capital. Plus précisément, lorsque le propriétaire du capital investit dans une entreprise, le profit doit, non seulement rémunérer le risque pris par l’investisseur, mais également financer l’évolution de l’entreprise tant dans la modernisation de son outil de production que dans la recherche et développement. Lorsque le capitaliste investit uniquement sur les marchés financiers, le profit attendu rémunère uniquement le risque pris par l’investisseur. On voit donc que, dans les deux cas, la notion de profit est attachée à celle de risque. Il en est toujours ainsi, dans toutes les activités humaines. On fera la différence entre profit et plus-value : la plus-value, en terminologie financière, est un gain en capital (différence entre la mise initiale et le prix obtenu en cas de revente des parts dans l'entreprise). Le travail exige une contrepartie en terme de salaire, le risque exige une contrepartie en terme de profit. C’est une simple règle économique d’échange où la morale n’a pas sa place. Le profit dégagé par une entreprise est un résultat collectif, la morale est un sentiment individuel. L’analyse marxiste, qui regarde le profit comme illégitime car soustrait à la rémunération du travail, ignore volontairement la notion de risque économique. Or, la marche du monde montre à l’évidence que le risque est partout et que la survie d’une entreprise n’est pas garantie. C’est d’avoir ignorer cette notion que le marxisme est mort et que reste incompréhensibles ceux qui continuent à y faire référence.
D’où vient le profit réalisé par une entreprise ? De la seule différence entre son chiffre d’affaires (représentatif de ses ventes totales) et ses coûts globaux de production (comprenant une part de rémunérations salariales, une part de coût de fonctionnement, une part de participation à la vie sociale : impôts et prélèvements). Où va le profit ? À l’investissement, à l’augmentation des salaires, à la rémunération des actionnaires, c’est-à-dire à chacun des trois acteurs : l’entreprise, le salarié, l’actionnaire. La répartition dépend du pouvoir de négociation de chacun de ces acteurs. Le pouvoir de négociation de l’actionnaire repose sur sa capacité à reprendre son capital (en vendant ses actions, menace que savent parfaitement utiliser les fonds de pension), le pouvoir de négociation du salarié dépend de celui de ses représentants (en général les syndicats), le pouvoir de l’entreprise s’exerce à travers son conseil d’administration et les décisions des administrateurs. La morale, là non plus, n’a pas sa place. Il s’agit de politique d’entreprise. Certes, des dérives peuvent apparaître au moment de cette répartition du profit. L’exigence des actionnaires peut être prohibitive, la pression syndicale peut être excessive, l’investissement peut être dévoyé vers des voies uniquement financières. Il ne faut pas compter sur la morale pour éviter ces dérives. Seule, la politique peut les encadrer. C’est l’expression de cette politique qui peut départager la gauche et la droite. C’est l’efficacité de cette politique, qui se mesure par l’existence d’un profit pour l’entreprise, qui mesure la compétence de la classe politique. Substituer la morale à la politique n’aboutit qu’à des coquecigrues ou des raisonnements captieux.
Karl Max a oublié, disais-je, la notion de risque économique et il a considéré que la rémunération du capital était un détournement de la richesse au détriment du travail. Ce qui pouvait paraître discutable au XXème siècle peut s’avérer vrai au XXIème avec l’envolée de la spéculation financière! En effet, quand on rapproche le fait que les dix plus gros banquiers londoniens se sont partagé 10 milliards d’Euros de bénéfices en 2007 avec le fait qu’une grande partie de la population du monde essaye de vivre avec moins de 2 dollars par jour, on est en présence d’une monstrueuse injustice. Ce fait est significatif du fait que les riches le sont de plus en plus, les pauvres le sont également de plus en plus. L’écart devient insupportable et générera, si aucune réglementation ne vient freiner les gains spéculatifs immoraux, des mouvements de révolte qui peuvent être dévastateurs et d’une extrême violence.

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