21 octobre 2008

Le temps qui passe

Un des concepts le plus mystérieux de ce monde est le temps. Nous vivons avec lui, comme avec un être familier, sans nous poser de questions sur sa nature. Pourtant, le fait même que nous vivons avec lui devrait nous pousser à nous interroger sur son existence en dehors de nous, je veux dire en dehors de toute conscience humaine. Il existe des théories scientifiques qui soutiennent, en interprétant les équations de la physique quantique, que le monde n’existe que parce qu’on le regarde. Le temps a-t-il une existence intrinsèque ? L'image que nous en avons, de façon intuitive et donc subjective, est celui d'un écoulement, d'un flux permanent et orienté, comme un fleuve allant vers la mer. Jamais un fleuve ne remonte vers sa source. Nous sommes sur un pont et nous regardons le fleuve s'écouler de manière irréversible. Nous ne le dirons jamais mieux que le poète :

Passent les jours, passent les semaines,
Ni le temps passé, ni les amours reviennent.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine.
Vienne la nuit, sonne l'heure,
Les jours s'en vont, je demeure.


Apollinaire

Bien sûr, la science examine le temps. Étroitement imbriqué avec les dimensions d’espace dans l’espace-temps qui est le nôtre, sa particularité de n’avoir qu’une direction le rend étrange, voire abstrus. La science a besoin de lui pour construire les lois de la Nature. Le temps lui est nécessaire pour expliquer le monde. Mais voilà que son explication comporte sa propre contradiction. Toutes les explications de cette physique utilisent un temps qui est réversible. Autrement dit, selon les équations de cette physique du monde, tout pourrait se dérouler à l'envers. C'est d'ailleurs cette expérience de pensée « à l'envers » qui permet à la physique quantique et à la Cosmologie de remonter à l'origine du monde pour tenter d'en décrire un scénario. Malheureusement, en remontant très loin dans le passé, c'est-à-dire en revenant aux premiers instants de l'Univers il y a un peu plus de treize milliard d'années, dans les premiers milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes de seconde, les lois de la physique ne s'appliquent plus. Il n'y a plus d'espace ni de temps. Il n'y a plus qu'un "océan" d'énergie quantique dont une "région explose" pour donner naissance à un Univers qui permet le développement d'êtres pensants capables de se poser des questions sur l'origine de l'Univers. Pourquoi le temps apparaît-il "à un moment donné" ? N'est-il pas simplement un paramètre commode pour les observateurs que nous sommes, nous permettant de raconter une histoire, celle des évènements du monde ?
C'est bien le seul point qui soit sûr : l'événement existe, puisque nous le vivons. Nous le vivons dans l'instant où il se produit, c'est-à-dire dans l'instant présent. Mais qu'est-ce donc que ce présent captieux, coincé entre un passé qui n'existe plus et un futur qui n'existe pas encore ? Qu'est-ce donc que cet instant figé entre deux néants, entre deux inexistences ? Il a toutes les apparences d'une éternité, sans passé ni futur, elle aussi. Le présent est une éternité, nous ne sommes pas sur le pont mais sur un bateau qui nous emmène.

Le temps s'en va, le temps s'en va, Madame,
Las, le temps non, mais nous nous en allons.


Ronsard

Notre époque est en manque de temps. Le temps est devenu une denrée rare. Il ne faut pas perdre de temps, il faut en gagner, comme on gagne de l'argent. L'urgence est partout, elle est devenue le suprême symbole de l'activité humaine. L'importance se mesure au fait que l'on manque de temps. Moins on a de temps, plus on est important. Dans le même temps (!), on ne parle que de la maîtrise du temps. Illusion et présomptueuse ambition !

La durée est une privation d'éternité


Bergson

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