10 juillet 2009

Peut-on justifier la prescription ?

Depuis plus de 4000 ans, l’homme s’est efforcé de remplacer la vengeance par la justice. Le code d’Ur-Nammu date de 2100 ans avant JC. La nécessité de la vengeance est un sentiment tapi au plus profond du cerveau reptilien de l’homme, là où se situent les centres de décisions de fabrications hormonales, qui relève ainsi du réflexe. Et parce que le réflexe peut conduire à des actes disproportionnés avec ceux qui l’ont provoqué, il est devenu nécessaire de codifier la vengeance. Cette codification s’appelle la Justice. Longtemps arbitraire et relevant du pouvoir d’un seul homme, que ce soit l’Empereur de Rome ou le Roi de France, la Justice d’aujourd’hui nous vient du 1er Empire. Napoléon 1er est à l’origine d’importantes et nombreuses créations institutionnelles. Il a, en effet, créé les organismes nécessaires au fonctionnement d’un État centralisé : préfectures, municipalités, Conseil d’État, corps législatif et Sénat, tribunaux hiérarchisés… ainsi que l’ensemble des textes fondamentaux permettant leur fonctionnement, en particulier le Code Civil et le Code Pénal. Aujourd’hui, le Garde des Sceaux est un ministre du gouvernement qui veille au bon fonctionnement et à la gestion des tribunaux. Il propose les réformes de la Justice pour l’adapter aux évolutions de la société, mais n’intervient pas dans les décisions de justice. Bien que sophistiquée, la Justice reste une légalisation de la vengeance. Cependant, quand un certain temps s’est écoulé depuis la condamnation sans que le ministère public ait pu faire exécuter la peine, une dispense définitive de la subir se produit en faveur du condamné. Les arguments ayant conduit à cette disposition sont essentiellement les suivants :
1° Lorsqu’un certain temps s’est écoulé depuis la condamnation, sans le que le ministère public ait fait exécuter la peine, le souvenir de l’infraction s’est éteint. L’opinion publique ne réclame plus satisfaction.
2° Une sanction trop éloignée de la faute serait peu conforme aux exigences de la justice. Le condamné, pour se soustraire au châtiment, a dû mener une vie cachée faite de privations et d’angoisses, qui constitue, par elle-même, une expiation. Lui infliger, plus tard, une peine serait équivalent à l’application d’une double peine.
3° La société encourage la bonne conduite du condamné en lui offrant la perspective de l’impunité si, pendant un temps suffisamment long, il s’abstient d’attirer l’attention publique sur sa personne, ce qui inclue évidemment la non-récidive.
Ces arguments restent bien fragiles et sont difficilement admis par les victimes. Le premier point est manifestement faux en ce qui concerne la victime qui demande réparation. L’expérience montre que le deuxième point est souvent faux. Les criminels nazis ont mené des vies faciles, parfois luxueuses, en Amérique du Sud. Quant au troisième point, il est parfaitement spécieux. Encore une fois, les criminels nazis sont restés cachés et silencieux dans les pays qui les ont acceptés. Certes, les crimes contre l’humanité ne bénéficient pas de la prescription, mais ce qui s’est produit pour ces criminels peut se produire (et se produit) pour des criminels plus ordinaires. La mère ou le père dont l’enfant a disparu parce qu’assassiné ou enlevé, ne fait pas de différence entre le criminel responsable de cette disparition et un coupable de crime contre l’humanité. C’est pourquoi la prescription d’une peine est toujours ressentie comme une injustice, comme une vengeance inassouvie. La durée de la prescription est de 20 ans en matière criminelle. À l’occasion de dramatiques accidents, les psychologues font toujours référence à la nécessité pour les victimes de « faire leur deuil », c’est-à-dire d’accepter finalement la disparition d’un être cher. En conséquence, il est certain que l’exécution de la condamnation par le criminel est un élément essentiel de cette acceptation. Ainsi, lorsqu’au bout de 20 ans d’attente dans la souffrance, la prescription plonge la victime dans la déréliction en la privant de cette acceptation, c’est-à-dire de la recouvrance d’une certaine paix intérieure, elle est nécessairement ressentie comme une monstrueuse injustice et les arguments justificatifs évoqués ci-dessus paraissent dérisoires, voire attentatoires à la morale tant il est difficile de renoncer à une vengeance légitime.

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